À contre-courant / La dépendance financière du nucléaire

Jérôme Gleizes  • 1 décembre 2011 abonné·es

Au-delà de l’argument éthique, les arguments économiques montrent que l’EPR est une catastrophe industrielle, et le nucléaire un gouffre financier. Son développement, notamment en France, a créé une dépendance financière. Loin de permettre une indépendance énergétique (par ailleurs fausse puisque le nucléaire représente 17 % des dépenses énergétiques), ce développement est surtout lié à celui du nucléaire militaire.

L’EPR de Finlande est passé d’un coût prévisionnel de 3 à 6,6 milliards d’euros, et celui de Flamanville a aussi doublé à 6 milliards (sans inclure encore les travaux de sûreté liés aux recommandations de l’Agence de sécurité nucléaire, après l’accident de Fukushima, ou aux défauts de béton). L’EPR est devenu une impasse technologique. Ce projet franco-allemand, initié au début des années 1990, a perdu en 2010 son principal allié industriel, l’allemand Siemens, qui, après avoir préféré le russe Rosatom, a abandonné le nucléaire en septembre 2011. Areva n’est plus concurrentielle sur le marché du nucléaire. Elle a perdu un marché à Abu Dhabi face au Coréen Kepco, car l’EPR est surdimensionné par rapport à la demande. Sans allié industriel majeur et sans capacité exportatrice, Areva se trouve en difficulté.

Le coût du nucléaire doit inclure celui du démantèlement inévitable et celui du renouvellement du parc. La Cour des comptes a critiqué en 2005 l’insuffisance des provisions pour le démantèlement d’EDF (23,5 milliards). Le délai pour la formation de ces provisions a été reporté à 2011… La banque suisse UBS déconseille d’investir dans de nouvelles centrales. Cette énergie est non rentable si on inclut les subventions, les frais sous-estimés des arrêts, les rénovations de l’équipement, le démantèlement, l’évacuation des déchets et leur stockage ultime (7 milliards par centrale pour des délais très longs). Pour retarder l’investissement à venir, EDF préfère allonger la durée de vie des réacteurs pour un coût qu’elle évalue à 1 milliard pièce, mais cela veut dire prolonger des structures prévues pour 30 ans. Le ferait-on pour des avions ?

Dans un contexte de tension budgétaire, le nucléaire risque de devenir rapidement un handicap. Cela se retournera contre les salariés du secteur alors que les énergies renouvelables (EnR) en Allemagne nécessitent 3,6 emplois par GWh produit contre 0,6 en France dans le nucléaire. Le bureau d’études des 7 Vents du Cotentin montre qu’il est possible, avec les 3 milliards de l’EPR, de créer 15 fois plus d’emplois tout en répondant aux mêmes besoins énergétiques (1). Par ailleurs, la filière nucléaire restera un gisement d’emplois important avec le retraitement des déchets et le démantèlement des centrales. En dix ans, après l’accord entre le SPD et les Verts allemands, l’Allemagne a pu développer le secteur des EnR et confirmer la sortie du nucléaire en 2011. Un autre politique énergétique est possible, réduisant la dépendance financière et énergétique avec une relocalisation de la production près des lieux de consommation, une réduction des consommations, le développement de technologies plus résilientes. Le nucléaire ne doit pas commettre les mêmes erreurs que la sidérurgie des années 1970.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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