Des « islamistes » partout

Tunisie, Maroc, et demain Égypte, vont être gouvernés par des mouvements se réclamant de l’islam politique.

Denis Sieffert  • 1 décembre 2011 abonné·es

Après la Tunisie, et avant l’Égypte, voilà le Maroc. Les mouvements islamistes sont en passe de réaliser un grand chelem dans le monde arabe. Le Parti justice et développement (PJD) a remporté une large victoire aux législatives du Maroc, le 25 novembre, recueillant 107 sièges sur 395. Les islamistes marocains vont diriger le gouvernement, pour la première fois dans l’histoire du pays. Le parti Istiqlal, de l’actuel Premier ministre, Abbas El Fassi (60 sièges), et le Rassemblement national des indépendants (RNI) (52 sièges) viennent ensuite. Le leader du PJD, Abdelilah Benkirane, a aussitôt fait allégeance au roi.

En Égypte, les longues files d’attente aux portes de bureaux de vote, depuis lundi, laissent supposer une participation massive aux législatives. En dépit de l’appel au boycott lancé par plusieurs leaders de la place Tahrir. Au terme d’un long processus électoral, on s’attend à une large victoire des Frères musulmans. En Tunisie, le parti Ennahda, victorieux des législatives du 23 octobre, s’est immédiatement engagé dans une négociation tripartite qui a abouti à un accord avec le Congrès pour la République (CPR), de Moncef Marzouki (centre gauche), et le parti Ettakatol. Dans tous les cas, et cela se vérifiera sans doute aussi en Égypte, les partis islamistes sont amenés à entrer dans un jeu d’alliances, parfois avec des mouvements laïques.

Ces situations nouvelles nées, directement ou indirectement, des révolutions arabes, après de longues années d’opposition, voire de clandestinité, ont sans aucun doute profondément transformé ces mouvements rassemblés sous l’étiquette « islamiste ». L’expérience du pouvoir turc par l’AKP est également passée par là. Tout comme celle du Front islamique d’action, qui a déjà une longue pratique du gouvernement en Jordanie.

La sociologie de ces mouvements a également évolué. Si les vieilles générations sont souvent restées à l’écart des manifestations, les jeunes y ont participé, et se sont mêlés à une autre culture, qui est autant celle de Facebook que celle du Coran. Bernard Dreano note que les Frères musulmans égyptiens se sont développés au cours de la dernière décennie « dans une classe moyenne d’intellectuels et de cadres qui s’est élargie sous l’effet de la massification de l’enseignement supérieur » [[On conseille à nos lecteurs et aux autres ces « réflexions sur les révolutions arabes » de Bernard Dreano, parues sous le titre la Perle et le Colonel, aux éditions Non Lieu, 382 p., 18 euros. Pour s’informer avec précision et surmonter les préjugés distillés par des imposteurs médiatiques qui disent ce que la société
de M. Guéant a envie d’entendre.]]. Une évolution qui provoque un conflit de générations au sein de ces mouvements. Ce qui ne fait pas des partis islamistes des mouvements progressistes, mais le plus souvent « conservateurs » sur le plan des mœurs et de la société, et libéraux du point de vue économique. On peut parler d’une droite conservatrice, même si Bernard Dreano n’exclut pas dans le futur l’apparition d’une « gauche islamiste » .

Quoi qu’il en soit, ces évolutions invalident les amalgames qui dominent dans nos débats télévisés où prévaut l’idée que tout islamiste est un « taliban », qu’il n’y a ni nuances ni différences, entre tous ces mouvements, et qu’il n’y a pas de débat en leur sein.

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