Figures du corps

Une exposition parisienne explore les échanges entre la danse et les arts visuels au XXe siècle.

Pauline Graulle  • 8 décembre 2011 abonné·es

Douceur, rondeur, volupté… Profitez-en, La Danse de Matisse , majestueux triptyque ouvrant l’exposition « Danser sa vie », est la seule œuvre à irradier d’une si sereine harmonie. Pour le reste, la rétrospective que le Centre Pompidou consacre aux liens entre l’art du mouvement et les arts visuels (peinture, sculpture, vidéo…) explore un siècle de tensions. Tension des corps qui se cherchent, se tordent, bref, s’interrogent.

Le premier acte (le plus réussi) du parcours est une plongée dans la libération du corps au début du XXe siècle. À l’époque, Isadora Duncan, prêtresse des débuts de la danse moderne, gambade en tunique blanche dans un jardin élégiaque, et le Faune de Nijinski s’accorde un instant d’auto-érotisme sur la musique de Debussy. La pièce, créée en 1912, fera scandale. Car ce retour à l’état de nature s’avère aussi salvateur qu’inquiétant.

Des nudistes d’avant-guerre au culte du corps conquérant sous le IIIe Reich, la chair délivrée des corsets a quelque chose de pulsionnel, d’archaïque, de primitif. La tension sexuelle s’exprime dans la puissance des rouges des petites sauvages en pagne peintes en 1912 par Emil Nolde ou sur les toiles d’un autre expressionniste allemand, Ernst Kirchner, qui peint à maintes reprises la danseuse Mary Wigman, interprète échevelée et possédée de la Danse de la sorcière (1913).

La séquence « La danse comme expression » culmine dans le Sacre du printemps (1975), version Pina Bausch. Chef-d’œuvre à voir et à revoir, tant ce rite païen qui met en scène la mort de « l’élue » – hagarde, elle s’épuise en robe rouge sang sur un sol de terre noire – nous renvoie aux tréfonds de notre humanité.

L’intensité émotionnelle laisse place à la froideur de la deuxième partie de l’exposition : l’abstraction et la danse. Les lignes géométriques de Van Doesburg mènent aux déséquilibres complexes de Solo (1997) de William Forsythe. Des ballerines-marionnettes du futurisme italien à « l’art total » du Bauhaus. L’architecture des corps est mise à mal avec les « distorsions » du photographe Kertész et l’écartèlement de la  Femme acrobate de Picasso. Seul regret : la juxtaposition des œuvres en dit finalement peu sur les influences réciproques dans le cadre d’une histoire des arts.

Le début de l’acte III, consacré à la performance, évoque plus franchement ces influences. La matière picturale rencontre la matière corporelle dans les « action-­paintings » de Jackson Pollock. Mais aussi dans ce film où les modèles d’Yves Klein s’enduisent de peinture pour laisser leurs empreintes anthropométriques. Célèbre scène à laquelle répondra, quarante ans plus tard, le chorégraphe-plasticien flamand Jan Fabre : une danseuse nue se roule avec luxure dans une huile évoquant aussi bien l’urine que le liquide amniotique !
Les deux pieds dans la danse contemporaine, on contemple les sculptures réalisées pour les tableaux dansés de la visionnaire Martha Graham. Les années 1970 consacrent le foisonnement des arts : Merce Cunningham collabore avec John Cage, Andy Warhol ou le vidéaste Nam June Paik. Voir aussi Lucinda Childs et son magnifique « Dance », où, inlassablement, elle dessine l’espace sur la musique répétitive de Philippe Glass. Mais si, là encore, les vidéos valent vraiment le coup d’œil, la profusion des œuvres ensevelit le propos.

Pour finir, la culture pop s’immisce avec fraîcheur dans la « non-danse » de Jérôme Bel. Sa pièce chorégraphique, The Show Must Go on (2005), où des danseurs amateurs esquissent quelques pas sur « Let’s dance » de David Bowie, a fait partir, l’année dernière, la moitié des spectateurs du Théâtre de la Ville… Un régal !

Culture
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