« La parole publique s’affaiblit »

Avec l’hypermédiatisation, la fonction politique se fonde désormais davantage
sur l’image et l’impression de compétence que sur des positions idéologiques.

Jean-Claude Renard  • 8 décembre 2011 abonné·es

Historien des médias et professeur de l’information et de la communication à l’université Paris-III, Éric Maigret analyse l’entrée des politiques dans le divertissement, et l’intrusion de celui-ci dans le débat politique.

Politis : On a l’impression que les personnalités politiques, à la télévision, sont plus souvent dans les émissions de divertissement que dans les débats strictement politiques…

Éric Maigret : À vrai dire, cela ne date pas d’aujourd’hui. Lionel Jospin poussait déjà la chansonnette chez Patrick Sébastien. Cela correspond à un affaiblissement de la parole politique, à une désaffection du public pour les émissions politiques télévisées. Des émissions très formatées où l’on pouvait sentir un certain blocage, une retenue chez les politiques. Lesquels se sont reportés sur le divertissement. Il ne s’agit pas d’un phénomène de corruption de l’information ou de la vie politique en général, mais d’une transformation de la fonction politique dans nos démocraties avancées.

Il est évidemment difficile de tenir un discours politique complexe dans certaines émissions et d’y développer un projet politique, surtout quand ce sont des émissions de divertissement. Mais les hommes politiques sont moins élus sur un programme que sur une image. La fonction politique est maintenant fondée sur l’incertitude, et plus encore aujourd’hui avec la crise financière internationale. Ce n’est pas l’idéologie qui domine mais l’idée de compétence. Il ne s’agit plus alors d’une question droite/gauche. Pour les politiques, il s’agit de s’adapter au nouveau fonctionnement de l’espace médiatique, d’explorer un terrain en termes d’identité.

Partant, ce sont les médias qui fixent l’agenda des politiques ?

L’agenda de l’opinion publique, avec ses préoccupations essentielles à un moment donné, existe encore, comme en 2002 avec l’insécurité. On a vu alors les politiques placer celle-ci au cœur du débat. Mais si, dans les années 1990, les médias faisaient l’agenda politique, les choses ont changé depuis Nicolas Sarkozy. Tout le sarkozysme est une reprise en main du politique, avec un agenda informationnel quotidien, surtout au début de son quinquennat, des infirmières bulgares à la réception de Kadhafi, et ce avec un décloisonnement de la politique et du divertissement : pas un jour sans que l’on sache ce qui se passe à l’Élysée.

Pour se faire entendre, le politique doit-il passer par la spectacularisation ?

Aujourd’hui, oui. Dans une société hypermédiatique, il est difficile d’y échapper. Dans cet esprit, l’émission de divertissement a changé le discours politique. Son vocabulaire est devenu plus simple et moins technocratique, générant, naturellement, un affaiblissement de la parole politique. Au reste, même dans les grandes émissions de débat politique, sur TF1 ou France Télévisions, on observe ces dernières années qu’il y a là un public prétendument représentatif de la société française, et des journalistes qui facilitent les échanges et n’interrogent pas.

Publié dans le dossier
La politique noyée dans le talk-show
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