Russie : des « Indignés » dans la rue

La première manifestation populaire et spontanée depuis la fin de l’URSS visait à demander l’annulation, pour cause de fraude, des récentes élections législatives. Mais exprimait avant tout le malaise grandissant de la population.

Claude-Marie Vadrot  • 15 décembre 2011 abonné·es

Marina, interprète d’une cinquantaine d’années, manifestait samedi dernier à Moscou pour la deuxième fois de sa vie : « La première fois, c’était en août 1991[^2]. Gorbatchev avait été libéré la veille par des putschistes, nous étions des dizaines de milliers à défiler pour rendre hommage aux trois jeunes victimes moscovites du putsch manqué, mais surtout pour enterrer le Parti communiste, qui venait d’être dissous et interdit. Avec le recul, je pense que je ne comprenais pas bien ce qui nous arrivait. Mes parents, eux, étaient effondrés de voir une partie de leur vie disparaître. Cette fois, c’est tout à fait autre chose qui m’a amenée place Bolotnaya  […]  *: je veux simplement vivre normalement, ne plus être obligée de distribuer de l’argent dans les administrations pour le moindre papier, voter pour qui je veux. »*

Le mouvement, qui a réuni à Moscou de 50 000 à 80 000 personnes et plusieurs milliers de manifestants dans une cinquantaine de villes du pays dont Saint-Pétersbourg, dénonçait les fraudes qui auraient permis au parti de Vladimir Poutine, Russie unie, de remporter les législatives du 4 décembre. Tous les témoignages recueillis montrent que les Russes éprouvent une grande fatigue de leur pays et que les manifestants ont été conduits dans la rue avant tout par un énorme ras-le-bol, même s’il est mal défini.

La dépolitisation d’une large part de l’opinion publique est patente. Les manifestants étaient d’ailleurs très divers, comme en témoigne la présence dans les premiers rangs d’Edouard Limonov, fondateur du Parti national-bolchevique, qui ne redoute guère de concurrence sur sa droite. Se rencontraient dans la foule aussi bien des militants de la « Marche russe » nationaliste[^3] du 4 novembre que des membres du Parti communiste, lequel vient de conforter sa position de ­deuxième formation du pays, ou encore de jeunes qui n’ont pas la moindre idée de ce que peut être un parti politique.

Dans cette manif coléreuse de ­plusieurs dizaines de milliers de personnes, dans une ville qui compte environ 12 millions d’habitants, les banderoles arborées par les manifestants, notamment un « Poutine, dégage » écrit en français, attestent que c’est principalement la classe moyenne qui est descendue dans la rue. Ceux qui sont accrochés à Internet , ceux qui voudraient que leur pays ne soit plus « à part », ceux qui regrettent l’emprise de l’Église orthodoxe, devenue quasiment une église d’État, ou encore ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas payer des fortunes pour vivre un tant soit peu comme en Occident.

La vie quotidienne dans les grandes villes est souvent devenue insupportable, et la corruption un mode d’existence ordinaire. Ce ne sont pas tant les fraudes qui font les votes que le poids de l’appareil d’État, des administrations régionales et de la presse sous contrôle étroit.
En attendant les protestations prévues pour les 17 et 24 décembre, qui demanderont à nouveau l’annulation des élections législatives, la stratégie de Poutine consistera probablement à jouer le pourrissement du mouvement jusqu’à la fin de l’année, période où le pays tombe en léthargie jusqu’au nouvel an russe, le 13 janvier.

[^2]: Le 24 août.

[^3]: Voir Politis n° 1180 (8 décembre).

Monde
Temps de lecture : 3 minutes

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