Interdire les terrasses chauffées ?

La Ville de Paris a décidé d’interdire progressivement le chauffage au gaz dans les terrasses des cafés. Jacques Boutault estime qu’il faut en finir avec cette aberration énergétique. Bruno Genty préfèrerait responsabiliser les établissements en leur imposant une éco-contribution.

Politis.fr  • 5 janvier 2012 abonné·es

« Il voulait devenir écrivain. Un ami lui donna un conseil ; tu t’installes à la terrasse d’un café et tu observes. Il devint alcoolique » (Denis Langlois).
Autrefois, les terrasses fleurissaient au printemps, et chacun pouvait s’attabler pour regarder les passants en tenue légère. Aujourd’hui, plus de trêve hivernale, les terrasses sont de sortie même l’hiver, mais nous n’avons plus grand-chose à regarder derrières leurs bâches et volutes de fumée… « Il voulait devenir écrivain. Un ami lui donna un conseil : tu t’installes à la terrasse d’un café et tu observes. Il devint fumeur ! »

Illustration - Interdire les terrasses chauffées ?

Qu’on se le dise : il n’existe pas de moyen écologique de chauffer les courants d’air. C’est une aberration qui cumule gaspillage énergétique, émissions de CO2 et pollution atmosphérique sans satisfaire un réel besoin. La seule raison d’être des terrasses chauffées est économique. Elles permettent d’augmenter le nombre de couverts et de retenir les fumeurs impatients.
Pour autant, faut-il terrasser les terrasses chauffées en les interdisant ? Comment peut être perçue l’accumulation d’interdictions au nom de l’écologie ? Un monde où quelques élites décideraient à votre place de ce qui est bon pour vous et de ce qui ne l’est pas ?

Si l’on suivait cette voie, nombre de produits et de pratiques seraient à interdire immédiatement : les produits jetables, les loisirs motorisés, les piscines privées… Il n’est pourtant pas loin le temps où l’on scandait qu’il était interdit d’interdire… Sans doute à raison, puisque la prohibition n’a jamais fonctionné. Elle ne fait que créer un attrait plus grand pour l’interdit, et fleurir un marché parallèle incontrôlable qui tourne la loi en dérision.

Il existe pourtant un moyen terme entre laxisme et prohibition : la responsabilisation, en faisant payer à chacun le prix de ses actes. Il s’agit d’internaliser les coûts environnementaux avec une contribution progressive assise sur le creusement de la dette ­écologique. Outre le fait qu’elle permettrait de financer en partie les atteintes à la nature, cette « éco-contribution climat-énergie » appelée de nos vœux permettrait aussi de sensibiliser chacun aux conséquences de ses choix.

Ainsi, plutôt que de s’attaquer à ce seul épiphénomène des « terrasses chauffées », il serait plus efficace de mettre en place l’éco-contribution climat-énergie qui, de fait, aurait aussi un impact sur ce petit phénomène.
Impulser cette nouvelle donne économique, c’est une des propositions de notre « Appel des 3 000 pour un contrat environnemental », appel qui sera soumis aux principaux candidats à l’élection présidentielle le samedi 28 janvier, à Montreuil [^2].

Quand les établissements paieront une contribution financière assise sur la consommation d’énergie, il est probable que les terrasses chauffées disparaîtront sans faire de bruit et que nous ne nous en porterons pas plus mal, puisque le printemps reviendra.

« Il voulait devenir écrivain. Un ami lui donna un conseil : tu t’installes face à la terrasse d’un café et tu observes. Il devint écolo ! » 


Illustration - Interdire les terrasses chauffées ?

Avec la loi Evin et l’interdiction de fumer dans les lieux publics (depuis le 1er janvier 2008), les terrasses de café et de restaurant se sont multipliées. Et comme en hiver, souvent, il fait froid (!), elles ont été équipées de braseros et autres systèmes de chauffage électriques ou au gaz. Chauffer dehors pour permettre à celles et ceux qui veulent s’en griller une petite de ne pas trop se geler, n’est-ce pas déraisonnable ?

Chauffer la rue relève de ce fantasme morbide des hommes consistant à vouloir dominer la nature. Ici, pour gagner en confort, on s’affranchit des saisons. Or, le rendement énergétique des chauffages ­installés en terrasse est catastrophique. En une heure, un gros réchaud à gaz brûle 1 kg de propane et rejette dans le même temps quelque 3 kg de dioxyde de carbone. Un parasol radiateur fonctionnant à plein régime peut vider une bonbonne de gaz par jour. Pour chauffer une terrasse de 12 m2, deux parasols à gaz émettent autant de CO2 que 300 km parcourus par une grosse cylindrée soumise au malus. Lorsque la terrasse est ­semi-fermée (par des bâches en plastique), le niveau de pollution à l’intérieur atteint des limites critiques pour les consommateurs.
La ville de Paris a décidé d’interdire progressivement le chauffage au gaz sur les terrasses – qui, rappelons-le, sont des espaces publics privatisés à des fins commerciales. Cela n’est pas suffisant, car on y installe désormais des chauffages électriques.

Or, l’une des voies de la sortie du nucléaire, c’est la sobriété énergétique. L’Ademe a calculé que le contenu en CO2 d’un seul kWh d’électricité pour le chauffage extérieur est de 180 g en moyenne, en temps normal, et de 500 g en période d’accroissement de la demande. C’est maintenir nos vieilles centrales en activité pour chauffer dehors !

Certes, en France, nous savons que « l’écologie, ça commence à bien faire » . Néanmoins, les pratiques de chauffage des terrasses sont contradictoires avec le Grenelle de l’environnement, la maîtrise de l’énergie et la politique de lutte contre le changement climatique.

Le Parlement européen a adopté un « Plan d’action pour l’efficacité énergétique » qui invite à établir des calendriers de retrait du marché des appareils consommateurs d’énergie les moins efficaces du point de vue énergétique. Une mention concerne les ­­« chauffages d’extérieur », visant expressément les terrasses chauffées des cafés et des restaurants.
On oublie aussi que s’affranchir des éléments naturels a un coût : le dérèglement climatique et ses conséquences. Plus de 80 % des gaz à effet de serre sont produits dans les pays développés du Nord. Les victimes se trouvent dans les pays du Sud : montée des eaux, réfugiés climatiques, accroissement des phénomènes météo violents… Pour leur confort, immédiat, les consommateurs du Nord contribuent à dégrader les conditions d’existence des habitants de la Terre les plus pauvres. Le Nord fume. Le Sud tousse.

Les chauffages de terrasse sont d’ores et déjà interdits dans les cantons suisses de Bâle-Campagne et de Soleure, ainsi que dans certaines villes allemandes. La Confédération suisse envisage d’interdire l’utilisation de ces appareils sur l’ensemble de son territoire. Dans ces pays, mais aussi en Russie, les ­usagers des terrasses peuvent ­disposer de couvertures. Cette solution peu coûteuse procure tout autant de confort, sans déperdition inutile d’énergie. Pourquoi pas en France ? 

[^2]: Inscriptions sur le site Internet de France nature environnement : http://www.planetik-fne.com/nouveautes/Produit/226/26/nouveautes/36e-congres-fne

Clivages
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