Le scandale de la spéculation agricole

Un rapport révèle l’implication des institutions financières européennes.

Patrick Piro  • 19 janvier 2012 abonné·es

Notre objectif est de « doubler nos revenus dans les marchés dérivés de matières premières au cours des trois prochaines années » , expliquait en 2009 Amine Bel Hadj Soulami, patron du secteur des investissements dans les matières premières à la BNP Paribas, première banque française[^2]. Ce portefeuille comporte des valeurs agricoles : environ 8 %, pour un montant de plus de 700 millions d’euros fin 2011, a indiqué la banque aux Amis de la Terre Europe (FOEE). L’association vient de publier un rapport détaillant l’implication de nombreuses institutions financières européennes dans les mécanismes de spéculation sur les denrées alimentaires et l’accaparement des terres agricoles dans le monde[^3].

Le groupe BNP Paribas est désigné par FOEE comme l’un des plus volontaristes sur les marchés de produits dérivés, avec les banques Deutsche Bank (Allemagne), Barclays (Royaume-Uni), le fonds de pension néerlandais ABP et le groupe financier allemand Allianz. Ce dernier est également repéré pour son activité d’investissements dans l’acquisition de terres agricoles (en Bulgarie), tout comme la Deutsche Bank (au Brésil) et les assurances italiennes Generali (en Roumanie).

D’autres institutions, dont le Crédit agricole, participent au mouvement via le financement de ­l’agro-industrie à grande échelle. FOEE épingle en particulier quelques financements explicitement liés à des opérations où les droits humains sont violés (expulsion de paysans, privatisation de l’eau, etc.) : ABP (au Mozambique), la banque sise à Londres HSBC (en Ouganda). En France, le groupe d’assurances Axa détient notamment pour 1,25 milliard de dollars d’actions dans la société minière Vedanta, impliquée dans des expulsions de populations indigènes à Niyamgiri, dans l’État indien de l’Orissa.

Depuis quelques années, la chute des rendements des produits financiers classiques a poussé les investisseurs vers la niche des produits dérivés alimentaires, dont les volumes négociés ont été multipliés par trois depuis 2002. Avec une conséquence claire sur la hausse et l’instabilité des prix sur les marchés mondiaux. C’est l’une des explications aux crises de 2007-2008, puis de 2011, qui ont porté le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde de 850 millions à 1,23 milliard[^4] ! La course aux terres agricoles sur de vastes étendues dans des pays pauvres ou émergents y est directement liée. Destinées à sécuriser la production alimentaire de pays étrangers ou à des fins spéculatrices, ces acquisitions s’accompagnent d’un lot de conflits avec les communautés locales, fréquemment spoliées.

[^2]: Financial Times, 6 octobre 2009.

[^3]: « Farming money », www.foeeurope.org

[^4]: Selon la FAO.

Écologie
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