Syrie : « La situation est bloquée »

Reçu par un collectif d’associations à Paris, l’opposant Michel Kilo a analysé les origines du soulèvement et le rapport de forces actuel. Extraits.

Denis Sieffert  • 12 janvier 2012 abonné·es

La polémique s’amplifie sur le rôle de la Ligue arabe en Syrie. Selon l’opposition islamiste, la mission d’observation dépêchée par la Ligue arabe « couvre » la répression. « Il est clair que la mission des observateurs cherche à couvrir les crimes du régime syrien en lui donnant davantage de temps pour tuer notre peuple et briser sa volonté » , accusaient, lundi, les Frères musulmans, membres du Conseil national syrien, le plus important groupe d’opposition.
Le comité ministériel de la Ligue arabe a cependant décidé dimanche de « donner aux observateurs le temps nécessaire pour poursuivre leur mission [entamée le 26 décembre], conformément au protocole » . Celui-ci prévoit que la mission dure un mois. Mais le document prévoit aussi l’arrêt des violences et la libération des détenus. Or, la répression sanglante se poursuit. Depuis le 15 mars, début du soulèvement, le bilan dépasse 5 000 morts.
À Paris, où il était de passage, Michel Kilo, proche de l’autre groupe d’opposition, la Coordination du changement national démocratique, s’est dit, quant à lui, favorable à la poursuite de la mission de la Ligue. Il est revenu sur les causes de la révolution et sur sa propre stratégie.

Une démarche d’abord réformatrice

« Nous ne sommes pas partis de l’idée qu’il fallait faire tomber le régime. Nous avons d’abord pensé qu’il fallait l’aider à changer. Fin 2000, après la mort d’Hafez el-Assad, nous avions proposé des rencontres avec des responsables. Bachar el-Assad semblait pouvoir mener des réformes. L’idée était d’identifier les problèmes et d’organiser une transition vers la démocratie. Notre perspective portait sur deux à cinq ans.

Notre plan a été adressé à Bachar. On a su qu’il l’avait lu et s’était dit en accord avec de nombreux points. Puis le régime a parlé plusieurs fois de réformes. C’est la raison pour laquelle nous l’avons soutenu au début du soulèvement. Quitte, parfois, à passer pour des traîtres. »

Bachar choisit la répression

« Tout était devenu insupportable. Il ne fallait qu’un incident pour déclencher l’émeute. Il est survenu le 17 février à Damas lorsqu’un policier a frappé un commerçant. En quelques minutes, 300 personnes étaient dans la rue.
Un deuxième incident est intervenu le 13 mars, à Deraa, dans le sud du pays, à la frontière jordanienne (des écoliers ont été torturés pour avoir écrit un graffiti, NDLR). Le lendemain, les manifestants criaient “Deraa, on est avec toi jusqu’à la mort !” Puis Bachar a eu sa fameuse phrase : “C’est un peuple qui doit être traité avec la chaussure.” Aujourd’hui, c’est le peuple qui traite le régime avec la chaussure. »

Les causes profondes du soulèvement

« Depuis quarante ans, ce pays n’a connu aucune liberté. C’est une société complètement privée de droits. Et quand on perd la liberté, on perd tout. La plupart des Syriens vivent avec 200 dollars par mois quand il en faudrait 1 200 pour vivre décemment.
La Syrie est composée de deux sociétés : une société civile relativement moderne et une autre, traditionnelle. Le régime a uni les deux contre lui. C’est l’alliance des deux qui a fait la révolution.
Le régime a bien essayé de pousser la société traditionnelle vers l’islamisme, en vain. Des dizaines de milliers de jeunes, d’artistes, d’intellectuels, d’étudiants ont été arrêtés. Au total, on parle de 500 000 personnes qui seraient passées en prison depuis le début du soulèvement. Il y aurait eu 12 000 tués et 27 000 blessés. »

La situation aujourd’hui

« Après dix mois de soulèvement, nous sommes dans une sorte d’équilibre des forces. Le régime ne parvient pas à écraser le soulèvement, et le soulèvement ne parvient pas à abattre le régime. Mais on peut dire qu’une grande majorité des Syriens veulent la chute du régime. Et nous sommes prêts à inscrire notre combat dans la durée. »

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