Baroud de déshonneur

Contre le mariage homosexuel, l’euthanasie, les étrangers… Nicolas Sarkozy mise sans vergogne sur la droite la plus réactionnaire.

Michel Soudais  • 16 février 2012 abonné·es

Illustration - Baroud de déshonneur

Avant d’officialiser sa candidature mercredi soir, Nicolas Sarkozy a méticuleusement planté le décor de sa campagne. À droite toute ! Dans l’entretien qu’il a accordé au Figaro Magazine la semaine dernière, le chef de l’État, pas encore candidat à ce moment-là, fait quelques propositions chocs propres à séduire les éléments les plus droitiers de sa majorité et les électeurs du Front national. Sur les sujets sociétaux, comme sur les sujets sociaux.

Libération l’avait dit prêt à se prononcer en faveur du mariage homosexuel ? « Je n’y suis pas favorable » , déclare-t-il. « En ces temps troublés où notre société a besoin de repères, je ne crois pas qu’il faille brouiller l’image de cette institution sociale essentielle qu’est le mariage. » Pas question non plus de favoriser l’adoption par des couples de même sexe, qui reviendrait à « inscrire dans la loi une nouvelle définition de la famille » . Le refus de légaliser l’euthanasie est tout aussi catégorique au nom du « respect de la vie » . Ces chevaux de bataille étaient ceux de la présidente du Parti chrétien-démocrate, Christine Boutin, qui n’a pas tardé à retirer sa candidature pour soutenir Nicolas Sarkozy.

Interrogé sur la proposition de la gauche d’accorder le droit de vote aux élections locales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne, le candidat de l’UMP estime que « ce n’est vraiment pas le moment » . Avec des arguments stigmatisant les musulmans, « une minorité » accusée par lui d’avancer « des revendications communautaristes »  : « Si les étrangers extra-européens pouvaient voter en France aujourd’hui, songeons comment risquerait d’évoluer le débat municipal : faut-il des cantines scolaires hallal ? Des piscines réservées aux femmes ? »

Répondant implicitement aux critiques de Marine Le Pen sur son bilan en matière d’immigration, Nicolas Sarkozy propose de dresser un énième obstacle aux mariages mixtes. Après avoir allongé d’un an à quatre ans le délai d’obtention de la nationalité française par mariage, il propose que « les titres de séjour obtenus par le mariage avec un Français (plus de 25 000 chaque année) soient soumis aux mêmes conditions de logement et de ressources » que celles exigées désormais pour le regroupement familial, lesquelles ont abouti, selon ses propres chiffres, à une réduction drastique des autorisations de séjour (de 25 000 à 15 000). Il souhaite aussi « limiter » les « prestations accordées aux demandeurs d’asile » .

Enfin, l’ancien premier flic de France veut soustraire le droit des étrangers aux tribunaux judiciaires pour que ce droit ne soit plus que de la « seule compétence [de] la juridiction administrative » . Une proposition qui reviendrait à créer une justice d’exception pour les étrangers, ont aussitôt dénoncé les syndicats de magistrats. Pour l’imposer et réformer la Constitution, celle-ci faisant de l’autorité judiciaire la gardienne des libertés individuelles, Nicolas Sarkozy n’exclut pas de recourir au référendum.

Dans l’éventualité où son bail à l’Élysée serait reconduit, Nicolas Sarkozy envisage également un référendum pour réformer l’indemnisation des chômeurs et « créer un nouveau système dans lequel l’indemnisation ne sera pas une allocation que l’on touche passivement » . « Passé un délai de quelques mois, expose-t-il, toute personne au chômage sans perspective sérieuse de reprise d’emploi devra choisir une formation qualifiante. Celle-ci sera définie par un comité national qui identifiera, avec des chefs d’entreprise et des syndicalistes, les secteurs d’avenir créateurs d’emplois. À l’issue de cette formation, qui sera obligatoire, le chômeur sera tenu d’accepter la première offre d’emploi correspondant au métier pour lequel il aura été nouvellement formé. »

Cette subite conversion au référendum du chef de l’État, qui a foulé aux pieds le vote des Français contre le Traité constitutionnel européen et refusé de les consulter sur les retraites, est évidemment purement électoraliste. D’autant qu’il cible deux sujets, l’immigration et le chômage, propices à toutes les démagogies. Et le refuse par ailleurs pour la profonde réforme de l’Éducation nationale qu’il envisage, de manière encore assez floue dans son entretien au Fig Mag : le référendum, dans ce cas, « serait vu comme un moyen de monter une partie de la société contre le monde éducatif » , ose-t-il, alors que monter la société contre l’immigré musulman ou le chômeur est tout à fait envisageable. Si cela permet de faire le plein des voix de la droite la plus traditionnelle et de séduire les électeurs d’extrême droite.

En se replaçant sur le terrain des « valeurs » , et remettant au goût de la campagne le « triptyque » de 2007 dans lequel il affirme se reconnaître « plus que jamais » , « travail, responsabilité, autorité » , Nicolas Sarkozy clive et fait diversion. Il s’ancre à droite pour marquer sa différence avec François Hollande et tente de sortir du débat économique sur lequel la campagne se focalisait jusqu’ici, convaincu qu’il ne peut que perdre dans des débats exclusivement économiques, trop techniques et confus. Ces derniers mois, tous les gouvernements européens ont perdu les élections.

Pour le Figaro (13 février), fidèle reflet des réflexions de l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy, leur faute aura été de se présenter « la tête sur le billot » . Plutôt que cette stratégie perdante, explique le quotidien de Serge Dassault, le président sortant aurait choisi « le combat frontal » . Un dernier pari qui, au regard des idées et valeurs mises en avant, est un vrai baroud de déshonneur.

Car l’entretien au Figaro Magazine n’est pas un acte isolé. Quatre jours auparavant, Nicolas Sarkozy avait estimé que les propos de Claude Guéant sur les civilisations qui « toutes […] ne se valent pas » , étaient de « bon sens » . Autre indice que sa campagne sera basée sur les valeurs les plus conservatrices : le Président a repris auprès de lui Emmanuelle Mignon, qui pourrait être sa directrice de campagne. Cette énarque catholique, qui avait joué un rôle essentiel dans la campagne de 2007 en étant la véritable « boîte à idées » du candidat, est l’auteur du fameux discours du Latran sur la « laïcité positive » . Un discours que Nicolas Sarkozy revendique de nouveau fièrement.

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