Garde alternée : promesse ou mirage ?

Pratique récente en cas de divorce, ce dispositif divise : moteur pour changer les hommes ou persistance de la domination masculine ?

Ingrid Merckx  • 9 février 2012 abonné·es

Le divorce pourrait-il remettre les compteurs à zéro ? L’égalité pourrait-elle s’inventer autour de la garde des enfants ? La garde partagée ou résidence alternée, qui date du 4 mars 2002 en France, fait polémique : mieux pour les enfants qu’un parent passé à la trappe, elle implique un ballottement inconfortable, notamment pour les plus petits. Cela dit, peut-elle changer les choses concrètement ? Le papa qui se retrouve une semaine sur deux seul avec ses bambins est-il soumis de fait à un apprentissage nouveau ? Prend-il en charge des obligations qu’il n’assumait pas jusqu’alors, ou celles-ci attendent-elles d’être traitées pendant « la semaine de la mère » ? Ou les confie-t-il gracieusement à sa nouvelle compagne ?

Le modèle du « papa loisirs » pour week-ends et vacances – le pire selon le pédopsychiatre Marcel Rufo – a vécu. Le père qui prend son tour de garde est-il pour autant, en France, générateur d’égalité ? Dans les années 1970, l’autorité parentale conjointe se substituait à la puissance paternelle séculaire. En cas de divorce, jusque dans les années 2000, le « gardien » était la mère dans 85 % des cas. Il est à noter que la garde alternée n’est pas venue de féministes réclamant un meilleur partage des responsabilités parentales (pour l’équilibre des enfants, pour refaire sa vie…) mais des associations de pères en lutte « pour la résidence alternée, pour la coparentalité, contre les discriminations, contre la non-présentation d’enfants, contre l’ignorance dont nous sommes victimes » , rappelle l’association SOS Papa. Alors, revanche légitime des hommes sur un pouvoir que les femmes se seraient octroyé ou persistance de la domination masculine ?

La loi sur la garde alternée a certes permis la reconnaissance des pères souhaitant une implication forte dans l’éducation et le quotidien de leurs enfants. Mais ils sont minoritaires : seuls 30 % des pères réclament la garde en cas de divorce. Celle-ci par ailleurs n’est envisageable que dans le cadre d’une séparation qui se passe bien, et comme les enfants ne peuvent aller que dans une seule école à la fois, les parents doivent résider à proximité l’un de l’autre. Enfin, tous les couples ne peuvent pas se permettre de multiplier leur logement par deux (les enfants ayant leur chambre chez leurs deux parents), quand la plupart peinent déjà à s’offrir un toit de taille correcte à deux.

La loi en France autorise un juge « à accorder et même imposer contre le gré des parents un régime de résidence alternée (qui a souvent pour effet de supprimer la pension alimentaire pour enfants), sans nécessité d’un partage équitable des tâches parentales » , ont protesté Hélène de Palma (de Solidarité Femmes Grenoble et de SOS Sexisme Paris) et Martin Dufresne (du Collectif masculin contre le sexisme) en 2002.

Les soins des enfants assurés par les deux parents comptent peu d’exemples dans l’histoire de l’humanité. La sociologue québécoise Denyse Côté considère la garde partagée comme une innovation d’importance. Au Québec, c’est une pratique courante qui, boostée par le relèvement du barème des pensions alimentaires, concerne des couples qui « intègrent l’égalité hommes-femmes dans leur recherche de solutions au sein de la famille » . Elle « sert même de modèle de partage des tâches aux jeunes parents non séparés » . Pas seulement les tâches ménagères, mais les tâches éducatives et de soins. Mais « les recherches démontrent que la plupart des mères assument une plus grande part des tâches économiques » , tempère Denyse Côté. La garde alternée pourrait même être un facteur d’appauvrissement. Dès 1989, les États-Unis ont fait marche arrière, constatant que 70 % des gardes alternées évoluaient en « résidences chez la mère » , sans pension ! Hélène de Palma et Martin Dufresne soulignent d’autres effets pervers : perpétuation des situations de violence, inégalité du partage du temps de garde, inégalité financière, absence de compensation des faibles revenus, toujours en défaveur des mères…

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