Le mal par le rire

Une fable d’Israël Horovitz sur le pouvoir. Humour grinçant.

Anaïs Heluin  • 9 février 2012 abonné·es

Casquette à l’envers, survêt’ bien large et balle de baseball à la main, un individu mal dégrossi attend de pied ferme. Qui, quoi ? Peut-être ne le sait-il pas lui-même. Qu’importe, il campe sur sa position, juste derrière le seul élément qui habille une scène tout à fait nue : une ligne blanche. Il est le premier et compte bien le rester. Quitte à lutter contre tous ceux qui tenteront de lui prendre sa place, contre les autres personnages inventés par le dramaturge américain Israël Horovitz dans le Premier .

Tous aussi caricaturaux et avides de pouvoir que le sportif, les cinq énergumènes qui se prêtent à la subtile mise en scène de Léa Marie-Saint-Germain rivalisent d’ingéniosité pour se mettre en tête de file.
Absurde, presque becketienne, cette fable sur le pouvoir a priori toute simple se fait à la fois critique sociale, réflexion philosophique et comédie de mœurs. Grâce à l’écriture incisive de l’auteur, bien sûr, ainsi qu’au parti pris très tranché adopté par la jeune compagnie des Aléas.

Avec un burlesque outré, un jeu au bord de l’hystérie et un goût évident pour la plaisanterie un peu potache, la troupe accentue la ­tendance de Horovitz à provoquer la réflexion par le rire. Une intuition des plus justes. L’air de cour de récré, de grande frivolité qui gouverne le spectacle figure avec éloquence la banalité du mal.

Tous les coups sont permis dans cette file d’attente qui n’est autre qu’une métaphore de l’humanité. Le joueur de baseball du début, l’amoureux de Mozart qui le rejoint, suivi d’un homme d’affaires véreux et d’un pauvre type ringard accompagné de son épouse nymphomane : clownesques, tous ces prétendants à la première place incarnent la complexité de l’être humain, aussi fasciné par la grandeur qu’obnubilé par ses petits problèmes quotidiens. Dépouillée, la scénographie met en valeur la recherche d’individualité des protagonistes, tous affublés de costumes grotesques à souhait.

Aucun doute, c’est la société capitaliste qui est la cible de la troupe, plus encore que de l’auteur. Le dynamisme forcené des comédiens, la vitesse à laquelle ils enchaînent leurs mauvais tours le confirme : nous assistons à une parodie de l’ultralibéralisme au comique de répétition bien huilé.
Mais ce n’est pas tout : au fil des gags, le féru de Mozart se met à singer le Christ, et donc à exprimer l’idée déjà bien rebattue de la mort de Dieu. Une façon de dire que l’homme et le théâtre sont toujours faits de la même chose, et qu’ils continueront de vivre à condition d’en rire…

Théâtre
Temps de lecture : 2 minutes