Orwell, de 1936 à « 1984 »

Louis Gill, économiste québécois, retrace la découverte du stalinisme par George Orwell lors de la guerre d’Espagne.

Olivier Doubre  • 2 février 2012 abonné·es

De retour de son engagement dans les Brigades internationales – dans les rangs du Parti ouvrier unifié marxiste (Poum), petit parti antistalinien et gauchisant –, où il combattit l’avancée franquiste pendant la guerre civile espagnole en 1936-1937, George Orwell écrivit, dans son Hommage à la Catalogne : « La guerre d’Espagne […] fut avant tout une guerre politique. Aucun de ses épisodes […] n’est intelligible sans quelque connaissance de la lutte intestine des partis qui se poursuivait à l’arrière du front gouvernemental. »

Il revint d’ailleurs dans un de ses articles, « Réflexions sur la guerre d’Espagne » , datant de 1942, sur cette « guerre politique » qui faisait rage « à l’arrière » en soulignant le rôle de la propagande incessante des partis du camp gouvernemental : «  En Espagne, pour la première fois, j’ai lu des articles de journaux qui n’avaient aucun rapport avec les faits, ni même l’allure d’un mensonge ordinaire. J’ai vu l’histoire rédigée non pas conformément à ce qui s’était réellement passé, mais à ce qui était censé s’être passé selon les diverses “lignes de parti”. »

Écrivain britannique de gauche, de tendance socialiste révolutionnaire, toute sa vie attaché aux libertés démocratiques, Orwell a déjà publié, au moment de s’engager dans la lutte contre le fascisme en Espagne, cinq romans, essentiellement construits à partir de longs reportages au sein de la classe ouvrière anglaise et du monde des déshérités, des vagabonds. Mais c’est son expérience catalane qui va lui faire comprendre la réalité de la terreur, des manipulations et falsifications staliniennes. Aussi bien en URSS à l’heure des grandes purges et des procès de Moscou qu’en Espagne même, du côté républicain, où le Parti communiste, entièrement sous l’influence soviétique, prend de plus en plus de pouvoir au fur et à mesure que le camp antifranquiste recule et subit sièges et défaites successives.

L’essai de Louis Gill, économiste québécois et auteur de nombreux ouvrages contre le néolibéralisme, s’attache à montrer combien la découverte du stalinisme (et de ses méthodes particulièrement violentes pendant la guerre civile espagnole) marque l’écrivain et l’homme lui-même. Et devient « la première source d’inspiration de ses principaux romans » ultérieurs : la Ferme des animaux et surtout 1984, qui, dès 1950, décrit un monde totalitaire d’une société imaginaire,

ô combien angoissante et terrifiante. Soulignant que la terreur stalinienne a contraint Orwell à « quitter l’Espagne en catastrophe pour échapper à la prison et vraisemblablement à la mort, accusé de fascisme et de trahison après avoir risqué sa vie au front » , Gill esquisse un portrait sensible de l’écrivain qui, tout en dénonçant sans relâche les affres du stalinisme, n’en est pas moins resté, à la différence de son ami de l’époque espagnole, Arthur Koestler, fidèle aux valeurs de la gauche, socialiste et démocratique.

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