Un appétit de Lyon

Une histoire sociale de la gastronomie rhodanienne.

Jean-Claude Renard  • 16 février 2012 abonné·es

C’est une fille de paysans pauvres, contrainte de quitter la maison paternelle pour avoir donné naissance en octobre 1914 à un môme sans père. Pataquès et branle-bas dans la cambuse. Mère célibataire : un statut difficile à assumer. Eugénie Brazier quitte son village de l’Ain pour Lyon, laisse son mioche en nourrice avec une promesse de retour. Dans l’entre-Rhône-et-Saône, elle marne dans une famille d’industriels versée dans les pâtes alimentaires. Eugénie fait le boulot, le toutim sauf la tambouille. Quand la cuisinière de la maison fait défaut, elle remplace au pied levé. Macaronis au gratin, côte de bœuf à la moelle. La vocation à la clé.
Ici et là, Eugénie Brazier fait ses humanités. Puis s’installe rue Royale. Son nom en guise d’enseigne. Le caboulot se remplit. Elle ouvre une deuxième enseigne au col de la Luère, à une quinzaine de bornes de Lyon. Édouard Herriot y prend ses habitudes. En 1933, quand le Guide Michelin distribue ses premiers galons, il gratifie les deux établissements de la mère Brazier de 3 étoiles. Pas moins.

En termes de « mères », à vrai dire, Eugénie n’est pas la première. En 1759, la mère Guy régalait déjà, à la tête d’une guinguette, d’une matelote d’anguilles. À la fin du XIXe siècle, Françoise, dite la mère Fillioux, égaye le gourmet. C’est aussi, et encore au début, une gamine de la campagne, la bonne à tout faire chez le bourgeois. Qui se colle aux fourneaux, aligne saucisson de Lyon, volaille demi-deuil, fonds d’artichaut au foie gras truffé, tandis que Madame Andrée fait sa réputation avec sa quenelle Belle Aurore.

Ce récit des « mères lyonnaises » demeure le point d’acmé de cette exposition consacrée à Lyon, « capitale mondiale de la gastronomie » , selon l’expression de Curnonsky, critique culinaire réputé dans l’entre-deux-guerres et dont l’embonpoint trahissait la fonction. Une exposition qui s’ouvre sur la littérature gourmande, ses récits de voyageurs et son Gargantua (parce qu’avant de se vérifier à table, la bonne cuisine lyonnaise s’est répandue dans les livres), décline ses produits, ses foires et ses menus, ses industries, comme Rivoire et Carret, égrène ses figures, de Fernand Point à Paul Bocuse. Soit près de 400 documents et objets remarquablement exposés, livrant une aventure sociale, économique, gourmande. Humaine.

Culture
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