Un haut degré de civilitude

Sébastien Fontenelle  • 16 février 2012 abonné·es

Ce n’est pas qu’ ils sont racistes, hein ? Bieeen sûr que non, voyons. (Je ne voudrais pas que tu ailles encore te faire des idées fausses.)
Mais ce qu’il y a, c’est qu’ils sont depuis très (très) longtemps immergés dans la droite jusqu’aux racines (chrétiennes) des cheveux : c’est en quelque sorte là qu’ils ont grandi [^2], et ça, n’est-ce pas, inévitablement, ça limite un peu leur univers mental : quand t’es plongé(e) depuis trop d’années dans une tradition politique où des collines inspirées rétrécissent gravement l’horizon, l’ouverture vers le grand large est très (très) loin d’aller de soi, et t’as forcément un peu de mal à concevoir qu’il y a de la vie après le village d’à côté.

En décembre 2007, par exemple, Brice Hortefeux, ministre UMP de l’Immigration et de l’Identité nationale, raconte devant un parterre choisi ce cocassissime souvenir – je te jure que je n’invente rien [^3] : « Cet été, sur une aire d’autoroute, je rencontre cinq personnes noires. Comme elles ont l’air de me reconnaître, je vais vers elles pour les saluer et je leur demande  : “Vous êtes d’où ? – De Caen. – Oui, d’accord, mais vous êtes d’où ? – Ben… de Caen.” Heureusement, j’ai compris à temps et je n’ai pas insisté. C’est là que j’ai compris toute la profondeur de ma mission. »

Puis cinq (épouvantables) années passent et, la semaine dernière, Nicolas Sarkozy honore d’une visite un chantier de l’Essonne où des ouvriers ont été réquisitionnés pour lui assurer dans la froidure (il fait ce jour-là – 8 °C) une assistance un peu nombreuse (suivant la méthode mise au point jadis par feu le prince Grigori Aleksandrovitch Potemkine).

Et là, le chef sortant de l’État français, avisant « un travailleur noir » , lui lance : « Cela change du pays, quand il fait moins huit [^4]. » (Hein, Mamadou ? Pas vrai, Mamadou, que ça y en a changer toi des canicules du Ngorongoro ?)

Se voit, dans ces deux estomaquantes saynètes (que sépare un [épouvantable] quinquennat), qu’ils ne peuvent tout simplement pas imaginer – comme si c’était trop au-delà de leurs possibilités – que des Keublas puissent n’être pas né(e) s loin sous la Méditerranée, ou n’être pas moins françai(se) s qu’eux : ce n’est qu’ainsi – par cette essentialisation – que peut s’expliquer qu’à chaque fois qu’ils rencontrent « des personnes noires » [^5] leur premier réflexe soit de considérer qu’elles étaient encore, l’heure d’avant, calées sous des baobabs.

Quand ils croisent des Blacks sur une aire d’autoroute, ils cherchent du regard leurs sagaies, et ça les laisse tout pantelants de ne trouver que des livarots – mais ce n’est bieeen sûr pas du racisme : juste la marque, dirons-nous, d’un haut degré de civilitude.

[^2]: Quand je dis qu’ils ont grandi, c’est une façon de parler…

[^3]: L’épisode fut rapporté, à l’époque, par le Canard enchaîné.

[^4]: Le Monde, 2 février 2012.

[^5]: Ou « un travailleur » de même foncée peau.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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