Des hommes d’État à croquer

Guillaume Doizy et Didier Porte retracent une histoire des présidents à travers le dessin d’humour. Jubilatoire.

Jean-Claude Renard  • 1 mars 2012 abonné·es

Du « Fossoyeur » à « l’Hyper bling-bling ». De Louis Napoléon Bonaparte à Nicolas Sarkozy. En passant par Félix Faure, Paul Deschanel et Charles de Gaulle. Soit 23 présidents de la République élus, de 1848 à aujourd’hui. Guillaume Doisy et Didier Porte brossent un portrait vitriolé des chefs de l’État, précisément vus à travers la caricature et le dessin. Conjuguant savamment l’humour et l’histoire de France, le premier apportant ses connaissances historiques sur le genre, le second livrant sa verve acérée et comique.

Une histoire qui s’ouvre donc avec Louis Napoléon Bonaparte, en 1848, représenté dans le Journal pour rire avec toute la fatuité de son nom. Après son coup d’État de 1851, il figure en imposteur bedonnant, fossoyeur de la République. « L’homme qui, après sa prise du pouvoir, a épousé une princesse étrangère est un carriériste avantageux, écrivait alors Victor Hugo dans Napoléon le Petit. Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. Il a pour lui l’argent, l’agio, la banque, la Bourse, le coffre-fort […]. On y ajoutera le cynisme car, la France, il la foule aux pieds. »

Élu en 1895, Félix Faure est un autre cas. Un fieffé chasseur, comme le rapporte à coups de crayons la Libre Parole, apparaissant régulièrement en séducteur, en vaniteux qui s’obstine à toute révision du procès Dreyfus, ce qui lui vaut, dans le Grelot, d’être imaginé par Pépin dansant au son d’une presse nationaliste et antisémite. Mais, se plaît à rappeler Didier Porte, « si Félix (en latin : “heureux”) est passé à la postérité, c’est pour sa “belle” mort, précédée d’une “petite”, semble-t-il, administrée dans son bureau de l’Élysée par une certaine Marguerite Steinheil, demi-mondaine qui ne faisait pas les choses à moitié. Affirmer que Félix Faure est mort (d’une commotion cérébrale) entre ses bras serait abusif, compte tenu de la nature de la marque d’affection qu’elle était en train de lui prodiguer au moment fatal. » Et de citer Clemenceau : « Il voulait être César, il ne fut que Pompée. »
Paul Deschanel, dit « le Mondain », installé dans le fauteuil présidentiel en 1920, est une autre muse pour les dessinateurs. Il est vrai, relate Didier Porte, que, lorsqu’un cheminot de Montargis, le long d’une voie, « tombe nez à nez avec un drôle de pékin plutôt hébété, un rien sanguinolent et vêtu de son seul pyjama, qui lui annonce tout de go qu’il est ­président de la République » , cela a de quoi inspirer. Deschanel était tout bêtement tombé du train !

La réputation « du naufragé ferroviaire » en pâtit, la presse racontant qu’il se baignait nu au milieu des canards dans le bassin de ­l’Élysée, signait des documents officiels Vercingétorix, tandis que Gassier, dans Échos et Potins, le représente en pyjama, recevant les huiles du gouvernement. Sept mois après son élection, il est contraint de démissionner pour raisons de santé.

De son côté, de Gaulle est caricaturé dès l’appel du 18 juin. Les journaux favorables à Vichy visent le militaire en l’associant aux Alliés, aux francs-maçons, aux juifs. À la Libération, les dessinateurs communistes puisent dans sa grande taille pour signifier la hausse des prix et des loyers. Plus tard encore, Siné, dans l’Express puis dans Siné Massacre, dénonce la torture en Algérie, la répression policière. À la mort du Général, la une de Hara-Kiri , « Bal tragique à Colombey = 1 mort » , vaudra au journal d’être interdit. On ne badine pas avec l’image présidentielle.

Dernier élu : Nicolas Sarkozy, que Riss voit d’emblée comme le retour de l’empereur corse, cinglant son goût immodéré pour le pouvoir et l’argent, tandis que Colcanopa joue de la photographie officielle du Président en ajoutant les logos de Bouygues, du Figaro , LVMH, Lagardère et Bolloré. Dans cette histoire remarquablement commentée et richement illustrée, si l’on songe aux mots de Victor Hugo, de Louis Napoléon Bonaparte à Nicolas Sarkozy, la boucle est bouclée.

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