L’Union européenne barre le droit à l’eau

Geneviève Azam  • 29 mars 2012 abonné·es

À Marseille, l’échec du Forum mondial de l’eau, traditionnel rendez-vous des multinationales, et le succès du Forum alternatif attestent de la vigueur des luttes pour se réapproprier l’eau. Dans le monde entier, les expériences de gestion de l’eau par des communautés d’usagers, à l’échelle de villages, de régions, de villes ; en France, la gestion en régie directe dans de nombreuses municipalités témoignent de la résistance des sociétés à la privatisation de cet élément vital. En 2010, sur proposition de la Bolivie, l’assemblée générale des Nations unies a adopté un texte reconnaissant le droit à l’eau potable comme droit humain fondamental.

L’inscription d’un tel droit dans le droit international peut paraître dérisoire, alors que la guerre de l’eau se poursuit partout. Pourtant, elle donne une légitimité encore plus grande à tous ceux et celles qui luttent pour son application. Et elle n’est pas dérisoire pour l’Union européenne et les lobbies de ses multinationales.

En vue du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 2012, un premier brouillon de déclaration finale du sommet officiel a été rédigé par le secrétariat de l’ONU. L’article 67 de ce texte provisoire (fort critiquable par ailleurs) réaffirme l’importance du droit à l’eau potable comme droit humain fondamental. Ce texte est actuellement amendé. Or, l’Union européenne, dans ses amendements, supprime toute référence à l’idée de droit : le terme est barré chaque fois qu’il apparaît. Le texte ajouté en remplacement insiste sur la nécessité de considérer l’eau comme un capital qui fournit des services écosystémiques, pour l’instant invisibles et gratuits, auxquels doit être attribué un prix. Ces services sont, par exemple ici, ceux rendus pour la lutte contre le changement climatique, pour la biodiversité, pour la purification de l’eau, pour le maintien des sols. Comment calculer ce prix ? L’amendement ne le dit pas, mais tous les textes à notre disposition sont clairs : ce prix doit émerger des marchés de services écosystémiques, organisés avec des « financements innovants » gagés sur ces services. C’est pourquoi, à la marchandisation des ressources, déjà ancienne, s’ajoute leur financiarisation.

Ces amendements illustrent la mobilisation de l’Union européenne pour mettre « l’économie verte » au sommet de l’agenda de Rio + 20. Cette économie verte prend acte de la dégradation de la planète, mais l’épuisement de la Terre viendrait de l’absence d’une évaluation économique de la nature, d’une information défaillante : les prix, censés orienter les comportements vers un équilibre, sont incomplets car les services rendus par la nature ne sont pas comptabilisés. Avec cette économie verte, il ne s’agit plus simplement de puiser dans le stock des ressources naturelles et de les intégrer au cycle de la production, mais de considérer la nature comme partie du cycle de la production. C’est bien plus qu’un verdissement du capitalisme !

Dans le monde de cette économie verte, la notion de droit, comme le droit à l’eau, est une rigidité qui bloque les promesses d’une nature-entreprise gérée par quelques firmes et fonds financiers.

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