Une horreur qui pose des questions

Pour Dominique Vidal, la folie de Toulouse interroge les injustices du monde et le rôle des politiques.

Dominique Vidal  • 29 mars 2012 abonné·es

Pourquoi Mohamed Merah a-t-il tué par sept fois froidement et lâchement ? On ne le saura jamais avec certitude puisqu’il est mort – dans des conditions qui restent à déterminer, comme d’ailleurs celles qui lui ont permis, bien que surveillé, de perpétrer ces horreurs[^2].

À l’instar de Khaled Kelkal en 1995, le « tueur au scooter   » fera l’objet de polémiques entre psychiatres et sociologues désireux d’expliquer l’irruption de cette violence plus terrible encore, que rien, bien sûr, ne saurait justifier. Qui peut croire venger les Afghans en abattant trois jeunes soldats, dont deux d’origine arabe, ou les Palestiniens en massacrant un professeur et trois écoliers juifs ? Même la Loi du talion, introduite à Babylone mille sept cent trente années avant notre ère, interdisait qu’on se fasse justice soi-même…

Cette « folie », toutefois, interroge :

– d’abord un monde et une société aux injustices si profondes qu’elles créent le terreau d’une telle barbarie ;

– ensuite les hommes (et la femme) politiques qui, pour grappiller quelques voix, ont joué cyniquement les plus mauvais instincts, des harangues contre les Roms aux diatribes sur la viande halal, en passant par les civilisations prétendument « supérieures » . Comme un miroir du jihad version fanatique d’Al-Qaïda contre « les Croisés et les Juifs »  ;

– a fortiori ceux qui, à peine les victimes ensevelies, tentent de les exploiter à des fins politiciennes, sans oublier l’infamie du Figaro impliquant Charles Enderlin et Stéphane Hessel…

Elle interroge enfin chacun de nous. Je me suis engagé depuis des décennies dans le combat pour une paix juste et durable au Proche-Orient, et rien ne m’y fera renoncer : parce que les peuples palestinien et israélien méritent d’être décolonisés afin de coexister dans la liberté.

Et c’est également l’intérêt de la France, de l’Europe et du monde, tant cette région est décisive. Seule la coexistence entre un État palestinien, avec Jérusalem-Est pour capitale, et l’État d’Israël revenu à ses frontières d’avant la guerre de 1967 apaisera une région si longtemps endeuillée.
Dans le feu de cette juste bataille, avons-nous toujours été assez attentifs au poison instillé par ceux qui, sous couvert de Palestine, appellent à la haine des Juifs, comme de ceux qui, sous prétexte d’Israël, sèment celle des musulmans ? Aucune ambiguïté, en tout cas, n’est plus tolérable.

Soyons clairs : c’est légitimement que le mouvement de solidarité réfléchit sur la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS), sur la perspective à long terme bi-étatique ou binationale, sur le recours au concept d’apartheid. À condition, toutefois, de ne pas en déduire un projet d’« éradication » d’Israël aussi absurde que suicidaire. Absurde, car cet État, un des deux créés par l’ONU le 29 novembre 1947, compte près de 8 millions d’habitants, conserve une puissance considérable et jouit d’un soutien massif des États-Unis. Suicidaire, car plus des deux tiers de nos compatriotes prônent la reconnaissance de la Palestine tout en restant attachés à l’existence d’Israël, conscients de la responsabilité de l’État français dans la mort de 76 000 Juifs qui vivaient chez nous.

La meilleure boussole, parce qu’elle est universelle, reste donc le droit international, et donc l’autodétermination des peuples – de tous les peuples. À nous tous d’entendre le signal d’alarme de Montauban et de Toulouse. Leila Shahid, Michel Warschawski et moi l’avons clamé durant notre « tournée des villes et des banlieues [^3] » : notre idéal, c’est le taayush, le vivre-ensemble, ici et là-bas. Contre tous les racismes, qu’ils visent Juifs, Arabes, musulmans, Noirs ou Tsiganes. 

[^2]: Des questions que posent bien des personnalités, du ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, au fondateur du Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), Christian Prouteau.

[^3]: Voir les Banlieues, le Proche-Orient et nous, Éditions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2006.

Publié dans le dossier
Après Toulouse, la récupération
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