À contre-courant / Vert décoloré

Jean-Marie Harribey  • 19 avril 2012 abonné·es

Vert décoloré
La conférence de l’ONU à Rio de Janeiro en juin 2012 se prépare. Toutes les institutions internationales mettent donc les bouchées doubles pour définir
la croissance verte, ou l’économie verte. La croissance tout court ne fait plus trop recette, et le développement durable a perdu beaucoup de son aura. L’OCDE a entrepris depuis plusieurs années de forger les outils théoriques et statistiques en vue de ce « verdissement » qui sera au cœur des discussions du Rio + 20. Après Vers une croissance verte (2011), voici Vers une croissance verte : suivre les progrès, les indicateurs de l’OCDE (2012) [^2]. Il ne suffit plus de théoriser, d’autant que la théorie oscille entre verdir l’économie et verdir la croissance. La première option pourrait avoir un sens, s’il s’agissait de rendre l’économie plus sobre et d’entamer une véritable transition écologique. La seconde ne vise qu’à perpétuer la croyance qu’il est possible de croître indéfiniment, pour peu qu’on mette au point des indicateurs de suivi de l’utilisation de la nature.

Après s’être empêtrée dans l’évaluation des services économiques rendus par la nature ^3 (par exemple, 153 milliards d’euros par an pour l’action pollinisatrice des insectes) de façon à la réduire à du capital naturel, l’OCDE invente une série d’indicateurs de « productivité des ressources », par analogie avec la productivité du travail et du capital. Cette dernière notion est trompeuse, puisque seul son inverse mathématique a un sens,
à savoir l’intensité de la production en capital (capital/production), qui, lorsqu’elle s’accroît, permet généralement à la productivité du travail d’augmenter. Mais l’OCDE n’en a cure ; elle entend calculer la productivité de l’environnement, la productivité matérielle, la productivité hydrique, la productivité énergétique…

sans que l’on en comprenne l’intérêt par rapport à l’intensité de la production pour chacun de ces facteurs. Le clou de cette panoplie est constitué par la « productivité carbone » ou « productivité CO2 », définie comme « niveau de la production économique (exprimée en termes physiques ou monétaires) par unité d’émissions, c’est-à-dire par unité de service de régulation utilisée ».

Observe-t-on un progrès de la soutenabilité environnementale ? Hélas, non. L’OCDE note néanmoins qu’il y a un découplage relatif entre l’augmentation de la production et celle de l’utilisation de beaucoup de ressources, mais jamais de découplage absolu. Les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter absolument, malgré une meilleure efficacité énergétique (elle s’est pourtantaméliorée moins vite dans les vingt dernières années que dans les années 1980). Le découplage reste aussi très relatif pour les matières et pour les apports nutritifs dans les sols et l’eau.

Concernant les stocks d’actifs naturels, le diagnostic est également pessimiste. Un tiers des pays de l’OCDE ont réduit leurs prélèvements en eau douce. Ailleurs, le stress hydrique menace. Les ressources halieutiques sont exploitées jusqu’à la limite, voire au-delà, et les pressions sur la biodiversité vont croissant : il n’est plus question d’amélioration relative, mais de dégradation absolue. Comment pourrait-il en être autrement, puisque la marchandisation de la nature semble être le corollaire de son « verdissement » ?

[^2]:  https://www.oecd.org/data oecd/60/57 /49526383.pdf

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