À Grenoble, Europe Ecologie tente de raviver la flamme verte

Pour son dernier tour de piste avant la clôture de sa campagne à Paris, Eva Joly donnait un meeting à Grenoble, le 12 avril. Environ 2 000 sympathisants ont fait le métier dans ce bastion de l’écologie politique, sans que cela n’occulte le malaise de la base.

Erwan Manac'h  • 13 avril 2012
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À Grenoble, Europe Ecologie tente de raviver la flamme verte

Sur une petite estrade ronde couverte de moquette verte, installée au milieu de son auditoire, Eva Joly s’adresse aux militants : « Nous sommes ici sur un terrain de résistance » , lance d’entrée la candidate écologiste venue défendre « l’écologie de combat » . Premier soulagement pour le camp écologiste, au moins 2 000 personnes se sont déplacées pour garnir les gradins de l’ancienne patinoire proche du centre-ville de Grenoble.

Le dernier meeting en région est donc officiellement une réussite, dans un bastion de l’écologie politique où la liste conduite par Phillippe Meirieu aux régionales de 2009 avait recueilli 19 % des suffrages exprimés au premier tour contre 12 % au niveau national. Avant de tourner la page et d’oublier un scrutin présidentiel « contre nature » pour EELV, il s’agissait jeudi soir à Grenoble de faire parler l’histoire du mouvement pour donner l’image d’une famille écolo debout et authentique.

L’écologie à Grenoble, une histoire « particulière »

Les premières traces du mouvement écologiste remontent ici au lendemain de mai 1968. « Alors qu’on ne parlait pas encore d’environnement, les luttes sociales visaient déjà « les pollueurs » qui empoisonnaient les travailleurs. Puis nous avons réussi à faire la synthèse avec des mouvements de défense de l’environnement autour de préoccupations communes » , se souvient Raymond Avrillier, figure historique des écologistes grenoblois, qu’Eva Joly fait ovationner par la foule au début de son discours. Ces militants s’inscrivent en politique à partir des années 1980 pour peser davantage dans une série de batailles.

La plus importante commence en 1989 et dure près de dix ans, pour la sauvegarde de l’eau municipale privatisée par le maire de droite Alain Carignon, condamné pour corruption à 5 ans de prison en 1996. « L’eau est un bien précieux pour les Grenoblois, nous avons mené un combat extrêmement important » , nous raconte Vincent Comparat, physicien à la retraite et militant historique du mouvement Ades, resté autonome mais connecté à EELV.

Ici contre la construction d’un grand stade au cœur de la ville, là contre la construction d’un tunnel autoroutier au nord de la ville, le mouvement écologiste vit de combat en combat, gardant toujours un pied dans les hémicycles des collectivités locales. « Partant de ces enjeux locaux, nous nous sommes élargis dans une logique de mouvement pluraliste, et non de parti , analyse Raymond Avrillier. On travaille par exemple localement avec le Parti de gauche » .

Malaise à la base

À l’heure des derniers préparatifs avant le grand meeting, jeudi en fin d’après-midi, les militants préfèrent évoquer ce « travail municipal » plutôt qu’une campagne présidentielle vécue à reculons. À la peine, Eva Joly inspire du respect ou quelques regrets, mais le malaise concerne surtout l’attitude de la direction du parti. Les accords avec le PS, négociés dit-on ici sans débat, et les positions, répétées ce jeudi matin, de Jean-Vincent Placé qui assurait sur Twitter que les écologistes étaient « plus proches du PS que du Front de Gauche » sont incompris, ou remisés au rayon des sorties solitaires qu’on ne préfère pas trop écouter. « C’est malheureux, mais ils ne peuvent pas s’en empêcher » , regrette Vincent Comparat au coin d’une rangée de chaises en plastique encore vides peu avant le meeting. « C’est grave » , confie un militant proche de la candidate, qui regrette la virulence de ces derniers jours envers la conversion écologique du Front de gauche.

Alors, avec son talent oratoire, Cécile Duflot dédramatise et assure l’explication de texte à la tribune devant une foule acquise. EELV, explique-t-elle, reste le mouvement polyphonique et ancré à gauche qu’il a été à sa construction. Les accords avec le PS sont « un choix politique sur les cinq ans à venir » , ajoute après le meeting Jean-Vincent Placé. Sur le fond, le sénateur de l’Essonne se défend d’être converti à la rigueur et au dogme de la croissance, pourtant au cœur du programme de François Hollande : « Nous sommes pour une décroissance sélective, équitable et solidaire » , nous répond-il. « Et nous avons dit dans l’accord avec le PS que nous n’étions pas d’accord avec l’objectif de réduire le déficit à 3 % d’ici 2014 ». Quant à la « gauche folle » incarnée selon Eva Joly par le Front de gauche et sa conversion écologiste douteuse, Jean-Vincent Placé donne aussi des gages d’apaisement : « Nous sommes contents qu’il se soit converti aux mots de l’écologie. Nous attendons de voir ce qu’il en sera dans les actes. Pour avoir siégé avec des élus communistes, je sais qu’ils sont productivistes et qu’ils l’assument clairement » .

Eva Joly dans l’écume des jours

Au cours d’une conférence de presse, devant la scène vide quelques heures avant le meeting, Eva Joly, elle, est surtout tancée sur les petites phrases du jour : les sorties répétées de Nicolas Hulot, sa collaboration à un éventuel gouvernement socialiste et surtout un courriel qui fuitait le matin même sur lemonde.fr, dans lequel le député européen Yves Cochet exprimait son malaise face à « une campagne dont, comme en 2007 […], tout indiquait depuis longtemps qu’elle serait un indéniable échec ». « Il y a quelques grognons, c’est un peu toujours les mêmes, ce qui compte c’est d’être derrière Eva », cogne Cécile Duflot en soutien de la candidate.

« Vous voyez ce qui s’est passé , s’agace Eva Joly un quart d’heure plus tard au micro d’une radio locale, à peine semé l’essaim de journalistes qui la poursuivaient. Je ne suis interrogée que sur des petites phrases de politique politicienne, c’est l’écume des jours. » « On nous parle de viande hallal ou de permis de conduire, s’agace aussi Cécile Duflot au cours de son discours, mais c’est parce qu’on ne veut pas entendre qu’en Camargue et à l’Île-de-Sein, le dérèglement climatique commence à se voir ! »

Dans son discours, Eva Joly réservera d’ailleurs une tirade aux journalistes, ces questionneurs infatigables sourds aux enjeux écologiques, envers qui la candidate semble désormais nourrir un profond mépris :

« Ceux qui doivent leur statut à leur obéissance et leur confort à leur docilité. Ceux qui ont dressé une statue à Nicolas Sarkozy avant de jeter aux bûcher Dominique Strauss-Kahn, qui moquent les naïfs et vantent les cyniques : je vois que je les dérange. Ils guettent le moindre de mes faux pas. »

La candidate termine son discours en répondant à Nicolas Sarkozy et au « mépris cinglant » dont a il fait preuve à son égard le soir même sur le plateau de France 2. Le chef de l’Etat est « acculé par les soupçons de financement occultes de sa campagne en 2007. C’est indigne de la France qu’il puisse se présenter » , lance l’ex-magistrate.

La clameur se lève, pour l’un des rares moments de franche ferveur du meeting. Du brouhaha se distingue un slogan improvisé : « Sarkozy dehors » . La foule avait besoin de vibrer.

De notre envoyé spécial, Erwan Manac’h

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