Au Cirque d’hiver, le dernier tour de piste d’Eva Joly

Eva Joly a fait salle comble pour son dernier meeting, hier, au Cirque d’hiver, à Paris. Et ponctué sa campagne par un discours aux airs d’adieu soulagé à la politique.

Pauline Graulle  • 19 avril 2012
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Au Cirque d’hiver, le dernier tour de piste d’Eva Joly
© Photos : Nicolas Portnoï

« Il faut finir dans la dignité. Proprement. » Une lueur de malice passe sur le sourire de Jean-Vincent Placé, qui dit, sans trop y croire, espérer « faire plus 5 % que 3 » dimanche. Pourtant, au Cirque d’Hiver, hier soir, on a refusé du monde : les 1 500 places de l’enceinte des Bouglione affichent complet et, faute de place, un grand écran a été installé dans une salle connexe.

Illustration - Au Cirque d'hiver, le dernier tour de piste d'Eva Joly

Dans les gradins, le public se chauffe en faisant la claque, aidé par Yannick Jadot, ex porte-parole démissionnaire de la candidate d’EELV, qui a revêtu pour la soirée les habits du Monsieur Loyal : « C’est vrai que cette campagne, elle est bizarre ! , hurle-t-il au micro. C’est une campagne de la nostalgie, où on nous ressort la 3e République et la révolution française. Les écolos ne sont pas nostalgiques, car l’âge d’or, il est devant nous ! »  Proches et moins proches de la candidate bondissent par l’entrée des artistes. Noël Mamère, Yves Contassot, Pascal Canfin, Dominique Voynet… Un pour tous et tous pour elle. Eva Joly monte sur le podium en moquette vert-gazon, entourée de Cécile Duflot et Daniel Cohn-Bendit qui lui colle une bise. « E-va ! E-va ! » , scande la foule pendant trois bonnes minutes de standing ovation.

Une ôde au « réformisme »

En réalité, les dirigeants d’EELV se projettent déjà au-delà du 22 avril. Ils sont tournés vers le deuxième tour de la présidentielle, la victoire supposée de François Hollande et les législatives. « Dani » est le premier à tenir le crachoir à la tribune : « Ce qui est bien dans les campagnes électorales, c’est que la fin d’une campagne, c’est le début d’une autre » . Manière de dire que le parti se tient fin prêt pour la suite. Prêt « à prendre des responsabilités dans la nouvelle majorité pour que la politique change. Assumons notre réformisme ! »

Illustration - Au Cirque d'hiver, le dernier tour de piste d'Eva Joly

S’ensuit une longue diatribe contre Jean-Luc Mélenchon, avec qui le torchon brûle depuis une récente interview de l’eurodéputé au Monde« Ce n’est pas en citant Victor Hugo qu’on y arrivera ! , attaque Cohn-Bendit. Oui, Victor Hugo a raison, quand il parle des Etats-Unis d’Europe. Ça, nous ne l’avons pas entendu ! » Conclusion sans appel :  « La planification écologique dans un seul pays, c’est aussi bête que le socialisme dans un seul pays ! »

Une fois opposée la « modernité » d’EELV à la « nostalgie » du Front de gauche, c’est à Cécile Duflot de prendre la parole. Une demi-heure pugnace mais sans éclat, pour défendre les maternités qui ferment et louer les qualités de cette « candidate différente » . La porte-parole, qui a déjà ficelé avec le PS sa candidature à la députation dans la 6e circonscription de Paris, a assuré ne pas croire « au grands soir » , davantage aux « petits matins » … « Mais on est disponible toute la journée » , plaisante-t-elle.

« Je ne suis pas une oratrice »

Entrée en piste d’Eva Joly, un peu avant 21h. L’ancienne juge d’instruction tombeuse du PDG d’Elf évoque d’emblée ses sujets de prédilection : la catastrophe de l’Erika et l’impunité de Total, l’affaire Bettencourt et le financement de la campagne de Sarkozy… « La lutte contre l’impunité, c’est tout à fait lié à l’écologie » , dit-elle. Puis se tourne un peu plus en elle-même : « La campagne fut rude, aussi, pour ma personne. Ce n’est pas rien d’être critiquée sans nuance… » « On t’aime, nous ! » , crie un supporter, déclenchant un tonnerre d’applaudissements et le sourire reconnaissant d’Eva Joly.

Illustration - Au Cirque d'hiver, le dernier tour de piste d'Eva Joly

Qui ajoute : « La femme qui se tient devant vous, avec modestie, [se tient aussi] avec la fierté d’avoir été candidate de la plus noble des causes politiques. Je ne suis pas une oratrice, je ne fais pas tanguer la foule, je ne berce pas mon public par de belles paroles rassurantes, et je m’en excuse. Quelque chose en moi refuse de placer la politique sous la tyrannie de l’émotion. La politique a tout à voir avec la rigueur de l’exposition d’un argument, et rien avec le talent de comédien » .

Qu’importe si le portrait du candidat « qu’elle n’est pas » – un « homme blanc » , « bien né » , « issu du système » avec une « pensée orthodoxe » – ressemble à s’y méprendre à celui de François Hollande… « Ma candidature est le symbole d’une autre manière de faire de la politique » , poursuit-elle, bille en tête. Pas rancunière, mais non sans ironie, elle cite son ancien adversaire à la primaire qui refuse toujours d’appeler à voter pour elle, Nicolas Hulot, pour reprendre son slogan « votez pour la planète » . Trois-quart d’heures plus tard, alors que retentit l’ambiguë « Violently happy » de Björk, on se dit que le discours fut digne, en effet. Et que cette candidate, touchante et vraie, avait, enfin, retrouvé toute sa hauteur.

Illustration - Au Cirque d'hiver, le dernier tour de piste d'Eva Joly


Retrouvez notre entretien avec Eva Joly : «  La présidentielle, arme de destruction démocratique  » (Politis n°1199 du 19 avril 2012)


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