Belle campagne pour la radicalité

Le succès du Front de Gauche est aussi incontestable que l’échec des écologistes dans le cadre de ce scrutin présidentiel.

Patrick Piro  et  Michel Soudais  • 19 avril 2012 abonné·es

Entre Jean-Luc Mélenchon et Eva Joly, il y a déjà bien longtemps que les courbes se sont croisées. À sa désignation en juillet, l’eurodéputée verte était créditée de 7 à 8 % d’intentions de vote. Le candidat du Front de gauche accusait alors 2 à 3 points de retard sur elle. Dimanche, l’écart entre eux pourrait être cinq fois plus important, au détriment de l’ancienne juge d’instruction. Tandis que l’ancien sénateur socialiste apparaît, y compris dans la presse internationale, comme « la révélation » de la campagne, la campagne d’Eva Joly est perçue comme un rendez-vous manqué.

Comment celle qui, dans la primaire organisée par Europe Écologie-Les Verts (EELV), avait réussi à battre Nicolas Hulot, chouchou des médias au potentiel électoral évalué alors entre 11 et 13 %, a pu chuter sous la barre des 3 % ? Cette dégringolade qui met Eva Joly en position d’être seulement en tête des cinq « petits candidats » est l’une des plus insolites de la campagne. Surtout quand on se souvient qu’EELV, son parti, avait fait jeu égal avec le PS aux européennes de 2009. L’explication n’est pas financière : à la sortie de l’été, Eva Joly et Jean-Luc Mélenchon annonçaient des budgets de campagne sensiblement équivalents, autour de 2,5 millions d’euros quand les grosses machines UMP et PS ne cachaient pas qu’elles tutoieraient le plafond des dépenses autorisées (16,8 millions d’euros pour le premier tour, 22,5 millions en cas de qualification au second tour). Il y a trois semaines, le Front de gauche a contracté un emprunt d’un million d’euros, en raison du succès de sa campagne.

La pertinence des propositions de la candidate n’est pas non plus en cause dans un contexte qui voit s’aggraver la crise écologiste. Dans une campagne truffée de débats futiles, ses propositions ont peu focalisé l’attention. Même la sortie du nucléaire, qui aurait pu faire clivage un an après Fukushima, n’a été commentée que par Nicolas Sarkozy. Eva Joly a finalement été traitée comme une curiosité politique plus que comme une candidate : dénigrée par l’UMP, le FN et certains éditorialistes, cette binationale, avec son accent et sa faible expérience politique (et son âge), aurait manqué de crédibilité. Les quelques cadres écologistes qui ont douté, en public, de l’utilité de sa campagne (redoutant qu’un petit résultat n’incite le PS à dégrader l’accord qui donnerait à EELV une trentaine de députés en juin) ont délivré un message similaire.

L’équipe de la candidate s’est montrée bien incapable de trouver la bonne cadence, une tactique fructueuse, un cap stable. Tout d’abord pourfendeuse du nucléaire pour muscler le bras de fer avec les socialistes en novembre dernier, Eva Joly s’est repliée sur la critique de la droite, s’est essayé sur le terrain sociétal (un jour férié pour les musulmans et les juifs), avant de se concentrer sur les axes forts de son programme (transition écologique de l’économie…), pour finalement regretter de n’avoir pas mieux exploité son talent dans la dénonciation de la corruption et le dévoiement des institutions.

Au final, le choix d’une candidate « non professionnelle » de la politique n’aura pas été payant pour les écologistes. Et rien n’indique que Nicolas Hulot aurait mieux déjoué les traquenards du marathon présidentiel. Eva Joly pourra se consoler d’avoir résisté aux adversités : il y aura bien un bulletin « écolo » sur les tables le 22 avril.

À l’inverse, Jean-Luc Mélenchon accumule les accessits. Celui de la « meilleure campagne » lui était décerné par 47 % des électeurs interrogés par l’Ifop pour Paris-Match la semaine dernière, loin devant Nicolas Sarkozy (19 %), François Hollande (13 %), Marine le Pen (10 %) ou François Bayrou (5 %). Celui de l’« incarnation du changement » attribué par 60 % des sondés dans une étude BVA du 11 avril pour le Parisien, devant François Hollande (53 %) et Marine Le Pen (35 %). Celui du candidat « le plus crédible » pour occuper depuis plusieurs semaines la pôle position du véritomètre d’Owni et I-télé, baromètre journalier établi sur les notes obtenues par les candidats au cours de la vérification minutieuse de chacune de leurs citations – Eva Joly s’y classe deuxième, Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy se disputent la fin du classement.
Celui, enfin, de « la plus forte audience » : dernier des dix candidats à être auditionné sur France 2 dans les deux émissions spéciales de « Des paroles et des actes », les 11 et 12 avril, il a été suivi par 4,7 millions de téléspectateurs.

Ces distinctions, qui doivent encore être confirmées dans les urnes, témoignent de la dynamique d’une campagne qui a un peu sauvé l’élection présidentielle 2012 de l’ennui des débats entre technos. Ses rassemblements en plein air, qui ont attiré des foules inhabituelles (plus de 100 000 personnes à la Bastille et autant samedi dernier à Marseille, 70 000 à Toulouse…) ; copiés sans grand succès par François Hollande et Nicolas Sarkozy, ils ont permis à Jean-Luc Mélenchon de séduire un électorat plus jeune, qui avait tenté d’occuper l’espace public au printemps dernier avec le mouvement des Indignés.

Les deux favoris ont également emboîté le pas au candidat du Front de gauche, sur la question des exilés fiscaux (Sarkozy) et de la taxation des hauts revenus (Hollande), lui donnant raison d’une certaine manière.
Avant tout le monde, Jean-Luc Mélenchon a su capter une demande de radicalité dans une partie de l’électorat. Orateur brillant, « il parvient à traduire des idées théoriques en termes simples et toucher ainsi, et à la fois, des victimes de la crise qui se sentent souvent à l’écart des enjeux politiques institutionnels, et des intellectuels parmi les plus exigeants en matière de rigueur argumentative », constate le philosophe Jean-Paul Jouarry.

Mais le talent du tribun n’explique pas tout. Il s’appuie sur un réseau militant très actif, où la force logistique du PCF contribue beaucoup, capable de multiplier réunions et porte-à-porte pour populariser un programme vendu à 400 000 exemplaires depuis sa sortie, mi-septembre.
Il recueille aussi les fruits d’un patient travail de rassemblement de la gauche radicale, initié il y a un peu plus de trois ans, qui n’a cessé de s’élargir à des courants jusqu’ici restés en dehors du Front de gauche : syndicalistes, écologistes, décroissants, dirigeants du NPA… Et même quelques libertaires.
Fort d’une campagne réussi, le Front de gauche espère dimanche, a minima, doubler Marine Le Pen. Mais ne fixe plus aucune limite à ses ambitions.

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