Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes une utopie qui va gouverner ! »

Au lendemain d’un week-end où il a réuni 100 000 personnes dans un meeting à Marseille, Jean-Luc Mélenchon s’est félicité d’avoir réussi à rassembler de « tous côtés ».

Denis Sieffert  et  Christophe Kantcheff  et  Michel Soudais  • 19 avril 2012 abonné·es

A quelques jours du 1er tour, et alors que les sondages le donnent régulièrement autour de 15%, Jean-Luc Mélenchon a reçu Politis au siège du Parti de gauche. Il a dressé devant nous le bilan d’une campagne quoi qu’il en soit extrêmement positive pour le Front de gauche.

Quel bilan faites-vous de la campagne ?

Jean-Luc Mélenchon : Mon regard critique sur les médias s’est renforcé. Alors qu’ils ont la possibilité de structurer la discussion, ils ne l’ont fait à aucun moment. Ils ont passé leur temps à courir derrière les balles qui leur paraissaient intéressantes, sur la base d’une évaluation consternante de l’intelligence populaire : selon eux, les gens sont incapables de s’intéresser à un dossier compliqué et d’y entrer. L’extrême droitisation de la droite s’est aussi reflétée dans le système médiatique quand, en fin de campagne, l’Express ou le Nouvel Obs ont repris des argumentaires du FN à mon sujet.
J’y vois une raison : les deux locomotives sondagières, Sarkozy et Hollande, sont assises sur un certain nombre de paramètres d’évaluation identiques : sur ce qu’on peut faire, la nécessité de la politique d’austérité, la règle d’or, les mécanismes européens, ils sont d’accord, et le système médiatique avec eux. Néanmoins, nous avons réussi à marquer des espaces dans la conscience collective.

Lesquels ?

On a démarré la campagne sur la vision d’un partage entre oligarchie et peuple qui m’a valu d’être traité de populiste ; aujourd’hui, le concept de peuple est intégré par tout le monde. Même chose avec la dénonciation de l’hyperrichesse et de l’accumulation. En revanche, on a eu beau s’échiner à parler de la planification écologique et de la règle verte dans tous nos discours, nous ne sommes pas parvenus à les installer dans le débat public. Et l’on a fait comme si nous ne vivions pas une crise du système capitaliste et comme s’il n’y avait pas de crise écologique. Cela dit, les événements ont confirmé nos hypothèses de travail. Il y a une majorité antilibérale dans ce pays, qui a approfondi sa prise de conscience depuis 2005. Et l’idée que la violence du système actuel et les inégalités qu’elle engendre ne sont pas légitimes est plutôt dominante.

Êtes-vous toujours aussi critique sur l’élection du président de la République au suffrage universel ?

Bien sûr. C’est un peu un comble que vous me posiez cette question après trois rassemblements pour la VIe République et contre la monarchie quinquennale. Je n’ai aucune illusion sur le fait que la gestion personnelle parviendrait à régler les problèmes comme François Hollande se le figure. Moi, je crois que l’implication populaire est la condition préalable du changement. La campagne elle-même en rend compte avec un processus d’éducation populaire ample dans lequel on explique beaucoup, on enseigne parfois, et où l’état-major de campagne est en même temps un état-major de bataille.

En quoi la campagne a-t-elle changé votre vision des choses ?

Sa dureté m’a obligé à bannir les à-peu-près, à aller au bout de toutes les logiques parce qu’il fallait expliquer, expliquer encore… La cohérence du discours politique s’est développée à mesure que la campagne avançait. Quand on entend Marie-George Buffet parler d’intérêt général ou de révolution citoyenne, et tant de camarades parler de planification écologique, on voit que la synthèse idéologique s’est faite. Beaucoup de gens l’ont compris, et cela explique pourquoi des décroissants nous ont rejoints.
Le Front de gauche est une force naissante en même temps que renaissante. Chemin faisant, elle a commencé à rompre avec l’ancienne mentalité d’éternels vaincus qui avant même que la bataille soit terminée publiaient des textes pour expliquer leur échec. Ses porte-parole, dont beaucoup de jeunes camarades, ont appris à parler au plus grand nombre. Les gens qui viennent à nos rassemblements ont pris confiance en eux.

La mutation idéologique qui a conduit le Front gauche à s’inscrire dans l’écologie politique est fondamentale. La tâche n’est certes pas achevée, mais la réunion que nous avons faite à l’Usine (le siège de campagne de Jean-Luc Mélenchon, NDLR) avec toutes les boîtes en lutte qui avaient un contre-projet a été, pour moi, un des temps les plus forts. Tous ces contre-projets avaient un contenu écologique très fort. Personne n’avait commencé à faire vivre ainsi une écologie sociale et républicaine.

Quel public nouveau pensez-vous avoir rencontré ?

Le peuple. Nous étions partis de l’idée qu’une majorité de la population se fichait des étiquettes politiques, que l’abstention aux dernières élections révélait l’état de délégitimation du système, et qu’il y avait une immense quantité de gens disponibles pour écouter autre chose et éventuellement s’impliquer, ce qui s’est produit. Voilà pourquoi nous avons toujours fait une campagne d’intérêt général, et non une campagne catégorielle. On l’a démarrée en nous adressant aux ouvriers mais toujours sous l’angle de l’intérêt général. Raison pour laquelle nous avons rassemblé de tous côtés.

Ne manque-t-il pas dans votre programme des mesures écologiques concrètes qui rassureraient ?

Je ne vais pas dire que nous maîtrisons la question de la planification écologique avec un mode d’emploi. En avançant, on découvre. La discussion que j’ai eue avec les dockers de Marseille m’a fait apparaître des choses qui illustrent ce que l’on dit quand on parle de relocalisation, laquelle n’est pas un dogme mais un fil conducteur comme la règle verte ou la planification écologique. D’une discussion sur l’étouffement des ports français, on en est venu à l’idée qu’il était absurde de faire passer à des marchandises le détroit de Gibraltar pour qu’elles remontent l’Atlantique jusqu’à Amsterdam ou Rotterdam, où elles sont mises sur des camions et redescendent ensuite à Lyon.

Faire autrement, ce pourrait être d’imposer que toute marchandise soit déposée dans un port du pays de sa destination. Cela profiterait à tous les ports. Une fois que la marchandise est là, quel périmètre est-on capable de servir ? On s’aperçoit qu’avec le ferroutage on peut faire remonter des quantités considérables de marchandises sans s’exposer au danger de la mer et en supprimant des camions. Voilà comment le concept de planification écologique oblige tout le monde à réfléchir différemment et à développer des cohérences politiques.

Pendant qu’on avance, Europe Écologie nous tire dessus : « L’écologie, ça ne se planifie pas », dit Jean-Vincent Placé. Or s’il y a un truc qui se planifie, c’est bien l’écologie puisque c’est le règne du temps long. C’est même ainsi qu’on a fait le lien avec notre opposition aux stratégies de gestion des entreprises basées sur le temps court des bilans trimestriels exigés par les fonds d’investissement. Si demain on était au pouvoir, on le ferait au débotté, mais avec les travailleurs. Eux savent comment faire, et personne d’autre.

Pour Daniel Cohn-Bendit, vous êtes étatiste et centraliste. Que lui répondez-vous ?

C’est une caricature dont j’ai fini par me lasser. Parce que je me réclame de l’héritage du jacobinisme, on me prête un goût pour la centralisation. C’est ne rien comprendre au jacobinisme. Je suis attaché à la loi une et indivisible, et au souverain lui aussi un et indivisible. Dans la planification écologique, qui organise notre pensée économique, la centralisation n’a pas sa place. La production est nécessairement locale. Ce sont les réseaux qui sont nationaux et internationaux. Les niveaux d’intervention démocratique sont ainsi décrits : l’un va être organisateur et fédérateur ; l’autre sera celui de l’initiative et de la prospective. La production de l’énergie a une racine locale autour des outils comme la géothermie profonde ou le mouvement mécanique de la mer. Elle ne se décide pas dans un bureau à Paris.

Comment voyez-vous l’installation du Front de gauche dans le paysage politique ?

Le Front de gauche est le résultat d’une rencontre réussie entre l’histoire et une situation politique. Les conditions qui ont rendu possible cette rencontre ne s’arrêteront pas le soir de l’élection. Le Front de gauche est en train de connaître une mutation qui fait de lui un front du peuple. Avec l’objectif de devenir le pouvoir. Lundi s’est mis en place un nouvel instrument de contraintes et de spéculation sur la dette française ; notre pays va être agressé. Les deux lignes qu’on a eu tant de mal à faire apparaître dans la campagne vont apparaître alors, celle de l’austérité à laquelle tout le monde se soumet et celle de la résistance. Le Front de gauche est le front de cette résistance. Raison pour laquelle je dis que nous serons au pouvoir avant dix ans. J’ai toujours dit que nous sommes une utopie qui va gouverner.

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