Sarkozy, l’extrême dérive

Présomption de légitime défense pour les policiers, fête du « vrai travail » : Nicolas Sarkozy s’est lancé dans une chasse effrénée aux voix du FN, avec un cynisme sans bornes relativement aux acquis républicains.

Michel Soudais  • 3 mai 2012 abonné·es

Nicolas Sarkozy avait contre lui le désastreux bilan de son quinquennat. S’y ajoute désormais son inquiétante et dangereuse fuite en avant électorale. Après une campagne de premier tour très à droite, le candidat de l’UMP s’est lancé depuis le 22 avril dans une chasse effrénée aux voix du Front national. Forte des 6,5 millions de voix qu’elle a obtenues, Marine Le Pen est subitement devenue à ses yeux « compatible avec la République ». Sa porte-parole, Nathalie Kosciusko-Morizet, caractérisait le FN comme un parti « antirépublicain » dans un essai publié en juin 2011, le Front antinational. Et le 26 février, le fidèle Claude Guéant affirmait encore sur Radio J que le parti de la famille Le Pen n’était « pas un parti républicain » mais un parti « nationaliste et socialiste ». Ce retournement, qui conduit Nicolas Sarkozy à absoudre les électeurs du FN de toute « leçon de morale », va bien au-delà de ce qu’autoriserait un vulgaire opportunisme électoral. En les présentant comme « la voix de la France qui souffre » qui va « réveiller » la droite, le président-candidat donne le signal d’une transgression profonde de toutes les digues que les droites gaulliste et démocrate-chrétienne avaient érigées pour se distinguer de l’extrême droite.

En reprenant cette idée folle, inscrite dans le programme du FN, que les policiers bénéficieront d’une « présomption de légitime défense », il montre l’exemple. Mais l’expression la plus achevée de cette course à l’extrême est sa volonté de concurrencer les défilés syndicaux du 1er Mai par une fête du « vrai travail ». Face aux « porteurs de drapeaux rouges qui ne font que diviser la France », Nicolas Sarkozy a présenté son rassemblement comme une célébration du travail dans la concorde nationale. Pétain tenait le même discours en 1941 pour justifier l’instauration d’une « fête du ­travail » à la place de la journée de revendication internationale des travailleurs organisée depuis la fin du XIXe siècle par les syndicats, que le chef de l’État Français avait interdite, leur reprochant d’avoir « asservi » l’État et de prétendre « fallacieusement représenter la classe ouvrière ». Exagération ? Non.
« Le 1er Mai de Sarkozy et de l’UMP, c’est en réalité la fête du libéralisme dur, “décomplexé”, dont l’ambition est de néantiser la représentation syndicale et d’étouffer les luttes sociales », écrit Annie Ernaux (le Monde, 29 avril). Dès son premier meeting de campagne à Marseille, le 19 février, Nicolas Sarkozy avait dit toute sa haine de « la puissance des corps ­intermédiaires qui s’interposent entre le peuple et le sommet de l’État », c’est-à-dire des syndicats et des associations.

Comme Corinne Lepage, femme de droite peu connue pour ses excès de langage, nous avions alors fait un parallèle entre cette déclaration de guerre et les prémices du fascisme, qui, rappelons-le, a commencé par une mise en cause violente des corps intermédiaires pour leur substituer une relation directe entre le peuple et son guide. Relation directe que recherche Sarkozy quand il envisage de recourir au référendum pour contourner l’opposition des syndicats ou des associations de défense des droits de l’homme et des étrangers.

Pour être toutefois comparé à ses antécédents, il manquait alors au discours sarkozyste la quête d’une identité nationale forte. Cette carence est aujourd’hui comblée. Dimanche, à Toulouse, Nicolas Sarkozy a averti que sa non-réélection conduirait à « dilapider le résultat de vingt siècles de travail, d’efforts et de civilisation ». Ce serait « sacrifier » tout à la fois « l’héritage de la chrétienté [sic], des Lumières, de la Révolution, de la Résistance », a-t-il lancé.

Mais de ces quatre héritages, c’est bel et bien le premier qu’il martèle, comme à Longjumeau, le 24 avril : « La France a des racines chrétiennes. Que cela plaise ou non ! Parce que la France a un long manteau de cathédrales et d’églises […], l’histoire de notre pays s’est construit son unité autour des rois et de l’Église. » Et c’est pour protéger « le modèle de civilisation français » que le président sortant a décidé de « remettre les frontières au centre du débat et de la question politique ».

À l’entendre, les frontières seraient le grand sujet de cette présidentielle, comme en 1995 la fracture sociale ou en 2007 le travail. Leur rétablissement unifie son discours sur l’immigration et l’identité nationale, ainsi que les limites qu’il dit vouloir mettre au libre-échangisme, par le refus de voir la France « se diluer dans la mondialisation », qui est, selon lui, le message du 1er tour. Mais en apparence seulement. Car quand il affirme que l’effacement des frontières fait surgir « aussitôt une multitude de petites frontières beaucoup plus dangereuses, des frontières sociales, des frontières ethniques, inacceptables, et des frontières religieuses dont nous ne voulons pas », Nicolas Sarkozy dévoile une quête obsessionnelle : celle d’une France sans classes, ethniquement et religieusement homogène. Un rêve totalitaire.

Politique
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