Tous les ingrédients pour devenir une quiche

Un essai convaincant
sur l’injonction à la beauté comme asservissement des femmes.

Pauline Graulle  • 24 mai 2012 abonné·es

Hier obligées de rester à la maison ; aujourd’hui condamnées à être belles. Certes, la dénonciation du « sois belle et tais-toi » n’est pas une nouveauté. « Ce qui change, c’est le peu de résistance que rencontre désormais cette pression », souligne Mona Chollet, journaliste au Monde diplomatique, auteure d’un essai grinçant où la « beauté fatale » du titre peut s’avérer réellement mortelle…

Chirurgie esthétique (un marché affichant 465 % de croissance en dix ans !), anorexie grave, blancheur de la peau… La « beauté » d’un corps objet (sexuel), toujours perfectible et obligatoirement performant, est devenue la norme à laquelle les femmes du XXIe siècle ne peuvent échapper. Affaibli, le mouvement féministe se révèle un maigre rempart face à cette culture de masse qui diffuse ad nauseam la propagande du fashion.
Principal bras armé de ce moteur d’aliénation qu’est « la peur de ne pas plaire » : les magazines « féminins » – Elle, au premier chef – qui, sous leur vernis (déjà bien écaillé) de canards « féministes », présentent un « horizon mental saturé par les crèmes et les chiffons », avec entre deux pages de pubs des actrices devenues portemanteaux pour les besoins de la « cause» – entendez un système économique obsédé par sa rentabilité.

Loin d’avoir permis l’émergence d’un contre-modèle, Internet regorge également de blogs où de pseudo-féministes déblatèrent sur le dernier « it bag » (« sac vedette »). « La Toile a la propriété de rendre visibles les effets de l’extraordinaire gavage culturel pratiqué par le complexe mode-beauté », pointe l’auteure, qui établit un recensement méthodique (et vertigineux !) des injonctions idiotes, absurdes ou inatteignables adressées aux femmes. D’Ally McBeal à Gossip girls, les séries américaines prolifèrent, montrant ici des femmes de 40 kilos, là des ados obsédées par « tout ce qui brille »…
Le ton ironique, parfois humoristique, de Mona Chollet – qui appuie son propos sur les travaux de féministes américaines, notamment Susan Bordo et Naomi Wolf, qui ne sont hélas pas traduites en français – ne masque en rien la portée dramatique de cette régression produite par « l’inégalité des rôles esthétiques » dans la société.

Dans le dernier chapitre de l’ouvrage, Chollet s’en prend aux BHL (mari de la – forcément – blonde et écervelée Arielle Dombasle) et autres philosophes médiatiques représentants du « sexisme des bellâtres de Saint-Germain-des-Prés ». Ceux-là même qui s’élevaient contre le voile islamique et se retrouvent en première ligne pour défendre les accusés DSK et Polanski, quitte à enfoncer sans scrupule les femmes. Décidément, la bêtise est la chose au monde la mieux partagée.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Les pédés sont des sorcières comme les autres
Essai 14 novembre 2025 abonné·es

Les pédés sont des sorcières comme les autres

Dans un essai visionnaire initialement publié en 1978, l’auteur et militant gay Arthur Evans dresse des ponts entre la culture des sorcières et le destin des communautés LGBT à travers les âges. Une histoire rythmée par les dominations sexistes, homophobes, racistes et écocidaires.
Par Salomé Dionisi
13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »
Entretien 13 novembre 2025 abonné·es

13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »

Les audiences avaient duré dix mois et réuni une centaine de parties civiles. En septembre 2021, vingt accusés comparaissaient devant la cour d’assises spéciale de Paris dans le procès des attentats du 13 novembre 2015. Maître de conférences en science politique, Antoine Mégie a mené, avec trois coautrices, une enquête au long cours sur le procès.
Par Olivier Doubre
Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »
Entretien 5 novembre 2025 abonné·es

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »

Des millions de personnes dans les rues, un pays bloqué pendant plusieurs semaines, par des grèves massives et reconductibles : 1995 a été historique par plusieurs aspects. Trente ans après, la politiste et spécialiste du syndicalisme retrace ce qui a permis cette mobilisation et ses conséquences.
Par Pierre Jequier-Zalc
1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique
Analyse 5 novembre 2025 abonné·es

1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique

Le mouvement de 1995 annonce un retour de l’engagement contre la violence néolibérale, renouant avec le mouvement populaire et élaborant de nouvelles problématiques, de l’écologie à la précarité, du travail aux nouvelles formes de solidarité.
Par Olivier Doubre