Un vote qui vient de loin

Les Français établis à l’étranger se rendent aux urnes dès ce week-end pour élire onze nouveaux députés.

Michel Soudais  • 31 mai 2012 abonné·es

Pour la première fois cette année, les Français établis à l’étranger vont élire leurs députés. Jusqu’à présent, les Français vivant hors de France (1,27 million d’inscrits sur les listes consulaires, sur quelque deux millions en tout, un certain nombre restant inscrits en France) étaient représentés uniquement par 12 sénateurs, élus au suffrage indirect via l’Assemblée des Français de l’étranger. La révision constitutionnelle de juillet 2008 a prévu qu’ils soient également représentés à l’Assemblée nationale. Onze sièges leur ont été attribués.

Cette innovation n’était pas exempte de calculs. Nettement majoritaire parmi les expatriés, la droite escomptait bien s’assurer aisément l’élection de 7 à 8 députés. De quoi faire la différence en cas de scrutin serré en métropole et dans les Dom-Tom. Les scores de Nicolas Sarkozy tant au premier qu’au second tour (38 % puis 53 %) dans cet électorat, même s’ils sont moins bons qu’attendus, permettent à l’UMP d’espérer un solde positif. Plusieurs anciens membres du gouvernement Fillon, Thierry Mariani, Marie-Anne Montchamp ou Frédéric Lefebvre, ont d’ailleurs trouvé dans ces nouvelles circonscriptions un moyen de se recaser à bon compte.

Mais qui représenteront-ils au juste ? Découpées sur la base d’un député pour 100 000 inscrits – utilisée également pour redécouper les circonscriptions nationales –, les circonscriptions des Français de l’étranger ont des superficies très disparates. Il en existe six pour l’Europe, deux pour l’Afrique, le Proche et le Moyen-Orient, deux pour le continent américain, une pour l’Asie.

Le vote par Internet aux législatives des Français de l’étranger a connu de sérieux ratés techniques. À l’ouverture du vote, le 23 mai, il est apparu que les internautes équipés de la dernière version du langage de programmation Java, qui équipe plus de 800 millions de PC à travers le monde, ne pouvaient se connecter. En catastrophe, les services du Quai d’Orsay leur ont donc suggéré de désinstaller cette version ou de « voter depuis un autre ordinateur ». D’autres ont raconté avoir dû désactiver leur antivirus pour pouvoir voter.

Les témoignages recueillis sur un site du Parti pirate sont édifiants sur les limites du système : difficulté à voter sur Mac comme sur PC, codes jamais reçus… Un internaute de métropole, qui reçoit par erreur les courriels adressés à une personne résidant à l’étranger, signale même avoir été destinataire d’un mot de passe pour voter. Plus globalement, le Parti pirate, qui a quatre candidats à l’étranger, a dénoncé « des insuffisances graves » dans la sécurité, critiquant notamment le fait que la majorité des opérations techniques « est de fait effectuée par des prestataires privés ».

Si la 6e circonscription ne couvre que la Suisse et le Liechtenstein, la 11e, où se présente M. Mariani, comprend l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Océanie, toute l’Asie (Chine, Japon, Inde…), l’Iran et la Russie. Où l’heureux élu implantera-t-il sa permanence ? Quels intérêts communs à ses électeurs établis sous des contrées aussi diverses défendra-t-il ? Ces questions, qui valent également pour la 10e circonscription (Égypte, Afrique de l’Est et du Sud, Proche et Moyen-Orient, sauf Israël) et la 9e (Afrique du nord, sauf Égypte, et de l’Ouest), se poseront dans la quasi-totalité d’entre elles.

Candidate pour le Front de gauche dans la 2e circonscription (Amérique latine, Amérique du Sud, Caraïbes), Raquel Garrido fait les comptes : « 33 pays, c’est immense, presque surréaliste ! » Tous les candidats se trouvent confrontés à la même impossibilité de tenir des réunions partout où se trouvent leurs électeurs. Et à la nécessité d’inventer de nouvelles façons de faire campagne. Principalement par Internet. « La difficulté est de trouver les électeurs », raconte Corinne Narassiguin, candidate du PS dans la 1re circonscription (États-Unis, Canada), « la plus facile en termes de logistique et de transports ». Déjà élue de l’Assemblée des Français de l’étranger pour la côte Est, elle savait où trouver une partie d’entre eux ; le soutien d’élus d’autres secteurs l’a aidée à toucher les autres. Elle glisse toutefois avoir commencé sa campagne il y a un an et demi.

L’État a également dû s’adapter. En raison de la taille des circonscriptions, et afin de faciliter l’organisation matérielle du scrutin, le premier tour a été avancé d’une semaine, comme en Polynésie (3 circonscriptions), et se tient les 2 ou 3 juin. Afin de lutter contre la forte abstention (60 % en moyenne) constatée à la présidentielle, le Quai d’Orsay, en charge des Français de l’étranger, a proposé aux électeurs qui le veulent de voter sur Internet du 23 au 29 mai (pour le premier tour). Mais, vu ses ratés (voir encadré), l’innovation, qui déjà renforçait la différence entre métropolitains et expatriés, a fait pschitt. Ce bug n’est-il qu’un incident ou annonce-t-il une remise en cause de la représentation des Français de l’étranger ? Tout dépendra des résultats de ce premier scrutin.

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