Carnets de campagne en mode déprime

Un journal de bord des mois qui ont précédé l’élection, entre polémiques et scepticisme.

Pauline Graulle  • 28 juin 2012 abonné·es

« Toute victoire a sa part de poison. » Nous sommes le 30 mars 2012, et c’est François Hollande qui parle. Un candidat sans illusions, à l’image de la France qui l’élira quelques semaines plus tard à la plus haute fonction. Comment le nouveau président parviendra-t-il à gouverner dans cette profonde crise économique, sociale et politique qui secoue le pays ? C’est la question – inquiétante – qui traverse l’ouvrage d’Éric Dupin. Le journaliste s’est immergé, d’août 2011 au 6 mai 2012, dans la France en campagne. Il en rapporte un journal de bord rythmé par les petites phrases (du « capitaine de pédalo » au « sale mec » ) et les faux débats (la polémique sur la viande halal ou l’affaire Merah). Mais qui vaut surtout par les entretiens obtenus. Auprès des petits maires qui ne croient plus que la politique rouvrira les écoles fermées de leur village. Auprès des seconds rôles – Patrick Devedjian estimant Sarkozy capable de briguer la mairie de Paris pour préparer sa revanche en 2017 ! –, comme des premiers rôles de la politique française – Martine Aubry, qui, « vaccinée contre la démagogie » et trop pointilleuse sur ses dossiers, rate la première marche de la primaire…

Le plus intéressant de ce « flash-back » de campagne tient toutefois à la plongée de l’auteur chez les « vrais gens », comme disent les journalistes politiques : les militants socialistes pas vraiment convaincus, la base Europe Écologie-Les Verts « désespérée », les militants enthousiastes du Front de gauche… Tandis que « le peuple de droite semble presque avoir déjà tourné la page du sarkozysme », note Dupin à un meeting de l’UMP en Ardèche, c’est l’extrême droite « new-look » de Marine Le Pen qui conquiert les âmes désabusées. « Marine Le Pen aurait peut-être enregistré un résultat plus impressionnant encore si elle avait pu déployer ses orientations avec une plus grande clarté et une meilleure crédibilité », juge d’ailleurs Dupin.

Les témoignages de frontistes qui avancent une xénophobie décomplexée, prétendument justifiée par les ravages du « mondialisme », font froid dans le dos. Voir ce menuisier de la Drôme, électeur de Mitterrand en 1981, qui trouve que les étrangers « ruinent la France » et affirme que 80 % de ses coéquipiers du rugby approuvent désormais ses opinions… Quelques pages plus loin, Moustapha, chauffeur-livreur de Franconville qui vient de perdre son emploi et se sent encore et toujours « considéré comme un Français de seconde catégorie », redoute l’arrivée de « Marine » au pouvoir d’ici à cinq ans. Au fil des jours, c’est une France malade d’inquiétude pour son avenir que Dupin, « frappé par le lourd scepticisme des Français », dessine. Un contexte de tous les dangers auquel Hollande devra faire face.

Idées
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