Législatives : une vague rose dans un océan d’abstention

Le rouleau compresseur institutionnel garantit à François Hollande une majorité absolue à l’Assemblée. Les écologistes pourront former un groupe. L’UMP essuie une défaite sévère.

Michel Soudais  • 21 juin 2012 abonné·es

L’Élysée jubile. Avec 315 députés, le PS, et ses alliés proches (PS dissidents, PRG, MRC et divers gauche), emporte la majorité absolue dans la nouvelle Assemblée nationale. Cette hégémonie des « candidats du Président », à peine entachée par la défaite de Ségolène Royal, assure à François Hollande les marges de manœuvre nécessaires pour mettre en œuvre son programme, mais aussi prendre les mesures impopulaires inévitables s’il s’obstine à vouloir respecter l’engagement pris par Nicolas Sarkozy de ramener le déficit public de la France au-dessous de 3 % du PIB en 2013. « Le gouvernement pourra agir avec efficacité pour conduire le redressement du pays dans la justice », s’est réjoui le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault.

Dimanche soir, toutefois, le redressement primait sur la justice dans les commentaires des responsables socialistes sur le résultat des élections grecques, organisées le même jour. À l’annonce que les conservateurs de droite de la Nouvelle Démocratie avaient doublé Syriza, le parti de la gauche radicale, la plupart d’entre eux ont fait état de leur soulagement, plusieurs ne cachant pas leur satisfaction. Le 13 juin, dans un entretien sur une chaîne de télévision privée hellénique, François Hollande avait expliqué aux Grecs que « des pays de la zone euro préféreraient en terminer avec la présence de la Grèce dans la zone euro » s’ils ne votaient pas comme le souhaitaient les dirigeants et les marchés financiers européens. Si « les Français ont amplifié la demande de changement », comme s’en est félicitée Martine Aubry, s’ils ont « choisi la cohérence », comme veut le croire Jean-Marc Ayrault, ils se sont aussi beaucoup abstenus : 44,59 % d’entre eux ne se sont pas déplacés, établissant un nouveau record absolu pour cette élection ; et 928 411 électeurs (2,15 % des inscrits) ont voté blanc ou nul. De quoi relativiser l’ampleur de la vague rose, qui doit également beaucoup au mode de scrutin et à la logique présidentialiste du calendrier électoral : le second tour a amplifié les résultats du premier tour, qui lui-même a grossi celui de la présidentielle. Les 28,6 % des suffrages obtenus par François Hollande le 22 avril se sont traduits par 54,6 % des sièges au Palais-Bourbon.

Cette mécanique institutionnelle, qui a favorisé la gauche socialiste, a bénéficié dans une moindre mesure à l’UMP. Avec ses alliés du Nouveau Centre, du Parti radical et divers droite, elle obtient 229 élus. Alors que François Hollande et Nicolas Sarkozy totalisaient 55,8 % des suffrages exprimés au premier tour de la présidentielle, les députés qui les soutenaient occuperont 94,3 % des sièges de la nouvelle Assemblée. Ce rouleau compresseur institutionnel n’empêche pas Europe Écologie-Les Verts (EELV) de réussir son pari. En obtenant 18 députés, dont 17 siégeront – Cécile Duflot, ministre du Logement, élue à Paris, laissera son siège à sa suppléante, Danièle Hoffman-Rispal, sortante PS –, soit deux de plus que les 15 nécessaires, EELV peut constituer le premier groupe de l’histoire du mouvement écologiste à l’Assemblée. Un succès dû entièrement à l’accord passé avec le PS qui réservait une soixantaine de circonscriptions aux candidats EELV, dont 25 à 30 candidats en position éligible. Les écologistes ne seront toutefois pas la force d’appoint indispensable à une majorité absolue pour la gauche qu’ils rêvaient d’être. Même s’ils entendent « essayer de peser le plus possible » pour continuer à asseoir leur influence dans les prochains scrutins, les écolos d’EELV devront aussi endosser les mesures du gouvernement auquel ils sont associés. Coller au PS réussit également au petit Parti radical de gauche. Les 12 élus du parti de Jean-Michel Baylet peuvent envisager de créer leur groupe avec l’appui des trois chevènementistes élus, comme eux, sous le label « majorité présidentielle ».

Le Front de gauche, qui se situait dans une autonomie par rapport au PS, fait particulièrement les frais d’un mode de scrutin qui agit comme un miroir déformant. De 19 députés, sa représentation tombe à 10 élus (voir ci-contre), ce qui empêche la création d’un groupe Front de gauche. L’absence d’alliance est également fatale au MoDem, dont le leader charismatique, François Bayrou, est battu dans le département dont il était l’élu depuis 1986. La formation centriste, qui comptait trois députés dans la précédente mandature n’en compte plus que deux : Jean Lassalle (Pyrénées-Atlantiques) et Thierry Robert (La Réunion). Avec 13,6 % au premier tour, le Front national pâtit aussi du mode de scrutin. Mais en envoyant deux députés au Palais-Bourbon, pour la première fois depuis 1997, la formation d’extrême droite, qui rêvait d’un groupe conduit par sa présidente (battue de 118 voix à Hénin-Beaumont), est parvenue à faire passer cet échec pour « un énorme succès ». Ses deux élus, Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard, élus dans des triangulaires, retrouveront sur les bancs de l’Assemblée un autre élu d’extrême droite, Jacques Bompard, ancien député du FN et toujours maire d’Orange, qui sous l’étiquette de la Ligue du Sud a obtenu 58,77 % dans le Vaucluse.

La défaite de l’UMP, qui perd un peu plus de 100 députés, est plus sévère que ne le laissent penser les quelque 206 élus qu’elle conserve – en net recul, les centristes du Nouveau Centre (14 élus) et les radicaux de Borloo (9 élus) devraient faire bande à part. Jamais depuis 1981, la droite n’avait eu aussi peu d’élus. Le parti de Nicolas Sarkozy, créé en 2002 par Jacques Chirac, se retrouve pour la première fois dans l’opposition. S’ouvre une bataille interne pour le leadership du parti, qui devrait se trancher dans un congrès en novembre. Jean-François Copé a appelé dimanche à faire de la session extraordinaire du Parlement une « priorité absolue » et à éviter à tout prix les « querelles de personnes ». Mais la défaite de Nadine Morano, après ses appels du pied très insistants aux électeurs du FN, et celle de la moitié des élus de la Droite populaire, donnent des arguments aux tenants d’une ligne plus ferme vis-à-vis de l’extrême droite. Les langues se délient pour rejeter la stratégie du « ni-ni » (ni FN, ni gauche) initiée en 2011 par Nicolas Sarkozy. « Une réflexion de fond est indispensable sur ce qui nous rassemble », a prévenu Alain Juppé. « Un nouveau départ s’impose », a lancé François Fillon, grand rival de M. Copé, tandis que son allié Xavier Bertrand plaidait pour « une profonde remise en cause ». Xavier Bertrand briguait dès le mardi 19 juin la présidence du groupe, détenue par Christian Jacob, fidèle copéiste. Et donnait ainsi le coup d’envoi d’une guerre qui s’annonce fratricide.

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