Rio+20 : un Sommet des peuples à la peine

Alors que le sommet du développement durable Rio+20 se dirige vers un échec retentissant, les mouvements sociaux et les ONG réunis de leur côté ne réussissent pas à faire émerger des propositions communes. De nos envoyés spéciaux, Patrick Piro et Claude-Marie Vadrot

Patrick Piro  • 21 juin 2012 abonné·es

Sur un coteau du parc Flamengo, bordant l’une des plages de la ville de Rio, une paire de policiers militaires, caparaçonnés de noir de la tête aux pieds, morigène deux Indiens peinturlurés, en tenue de forêt. Objet du délit : flèche encochée, ils s’apprêtaient à faire un sort à un petit oiseau d’une espèce protégée, explique l’un des soldats. Cette scène burlesque illustre avec ironie l’impasse du sommet du développement durable Rio+20, enlisé dans ses puissantes contradictions à 50 kilomètres de là, au centre de conférences Rio Centro (voir encadré). Mais elle pourrait bien aussi interpeller les militants du parc Flamengo, qui accueille le Sommet des peuples « pour la justice sociale et environnementale », où les altermondialistes tournent radicalement le dos aux mirages de l’économie verte et libérale en débat au Rio Centro.

Lutte contre les crises alimentaires, défense des droits humains, protection des écosystèmes, transition énergétique, économie solidaire, commerce équitable… Parmi le chapelet de tentes dispersées sur près d’un kilomètre de terre-plein gazonné, deux espaces, baptisés « territoires du futur », présentent des centaines d’initiatives supposées préfigurer un « autre monde possible ». Mais du foisonnement peine à surgir un projet commun visible et rassembleur. Face à l’échec pressenti du sommet Rio+20, le Sommet des peuples prétendait pouvoir s’imposer comme recours et inspirateur d’idées pour sauver la planète : il faudra encore attendre pour convaincre l’opinion publique.

Au parc Flamengo, se côtoient sans guère se mêler la promotion des fours solaires par Greenpeace et la dénonciation de l’accaparement des terres par les spéculateurs, la lutte contre la marchandisation de biens communs comme l’eau et le dialogue œcuménique entre les religions, les mouvements sociaux de base et les instituts d’analyse. Pour prévenir d’hypothétiques débordements, la police patrouille au sein même des allées, alors que dans le ciel tournoient deux bruyants hélicoptères. Acteur chevronné des forums sociaux mondiaux depuis plus d’une décennie, le Chilien Gustavo Marin perçoit ce Sommet des peuples comme une « régression ».

Les organisateurs brésiliens visaient une vingtaine de milliers de participants : ils n’y sont pas. La méthode de travail a volé en éclats : sur les 520 activités « autogérées » annoncées, les annulations sont nombreuses, et une majorité se tiendront… après les assemblées plénières supposées établir des convergences entre les initiatives et les mouvements. Les problématiques brésiliennes dominent fortement la teneur des débats. Sur les cinq axes de travail qui se sont dégagés – droits humains, biens communs mondiaux, sécurité alimentaire, extraction minière et énergie, ainsi que nouveaux paradigmes –, le dernier, fourre-tout, étiquette la majorité des activités.

Il n’est pas prévu de faire remonter les décisions des réseaux travaillant sur différents thèmes. Contrairement à ce qui avait été annoncé, le sommet n’endossera aucune déclaration finale, alors que le « Forum global » tenu en 1992 en contrepoint au sommet de la Terre de Rio y était parvenu. De l’amateurisme, une perte de substance politique, mais aussi un douloureux manque de moyens, reconnaît Gustavo Marin : la crise économique frappe les grandes ONG qui soutiennent classiquement ce genre d’initiative, et les 10 millions de réaux (1) promis par le gouvernement sont arrivés tardivement, dont une partie sous réserve. « Le sommet paye là son refus de s’intégrer au processus proposé par les autorités brésiliennes pour encadrer la participation civile (2) », juge Gustavo Marin, qui dirige le Forum pour une nouvelle gouvernance mondiale (3).

Conséquence visible du manque de moyens : la plupart des débats se tiennent en portugais, et les non-lusophones ne tardent pas à se réfugier vers les activités proposées par les organisations de leur sphère linguistique. « On reste dans l’entre-soi », déplore le Brésilien Chico Whitaker, l’un des initiateurs des forums sociaux mondiaux (première édition en 2001 à Porto Alegre, au Brésil). Plusieurs observateurs historiques jugent ainsi que ces grandes rencontres de la société civile arrivent en fin de cycle, buttant sur leurs limites : faible niveau d’élaboration collective des idées nouvelles et des mobilisations, difficulté à peser sur les politiques nationales et internationales, échec à lier entre elles les différentes luttes. « La fragmentation l’emporte sur la convergence », constate Chico Whitaker.

Pour autant, dans l’attente confuse d’un renouveau des formes de mobilisation, nul ne songerait, au sein des mouvements sociaux, des ONG, des syndicats, à saborder ce type de rencontres, qui continuent de jouer, bon an mal an, un rôle irremplaçable d’inclusion de mouvements extrêmement variés. La présence massive des communautés indiennes du Brésil, au parc Flamengo, en est l’illustration très visuelle. Cinta Larga du Mato Grosso, Pankarere et Pataxó de Bahia, Terena du Mato Grosso do Sul…, venus en habits traditionnels et arborant peintures corporelles, ont réuni des centaines de membres, partis à l’assaut des assemblées mais aussi de la rue pour réclamer la régularisation de leurs terres ancestrales, question délaissée par la présidente brésilienne, Dilma Rousseff.

Les mouvements sociaux de base représentant les plus modestes sont présents : collecteurs urbains de déchets recyclables dans la rue, populations touchées par les impacts des grands barrages, paysans déplacés par les accaparements de terres, membres des communautés « quilombolas » (descendants d’anciens esclaves noirs, au Brésil)… Pour autant, Gustavo Marin regrette qu’un pas supplémentaire n’ait pas été franchi au parc Flamengo : les plus récentes mobilisations – « Indignés », Occupy Wall Street, étudiants, acteurs des printemps arabes –, qui ont émergé dans plusieurs pays en 2011, n’ont pas trouvé leur place au parc Flamengo. Décalage culturel ? Un autre projet d’inspiration proche a avorté : la tenue d’assemblées de rue dans les favelas de Rio. Peine perdue, le gouvernement a exigé et obtenu que toutes les activités se tiennent dans le parc Flamengo.

Le Sommet des peuples, malgré ses limites, laisse cependant transparaître une conviction partagée, et qui semble profondément ancrée : le système économique dominant, que les gouvernants tentent de sauver au Rio Centro, n’est pas réformable à la marge, il doit être radicalement changé. « Il faut s’indigner contre le modèle prédateur, comme nous l’avons fait contre les dictatures ! », appuie avec énergie Marina Silva. L’emblématique candidate écologiste de la dernière présidentielle brésilienne (2010) soulève l’enthousiasme devant un millier de personnes, l’une des assemblées les plus fournies du Sommet des peuples. Auparavant, la Canadienne Severn Suzuki avait livré un témoignage sans appel. Celle qui, au Sommet de la Terre de 1992, avait interpellé les dirigeants de la planète du haut de ses 12 ans, pour les conjurer de sauver l’avenir de sa génération, vient reproduire un discours identique, mais cett fois au service de ses deux enfants. « Rien n’a changé en vingt ans, ou si peu… »

Écologie
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