À contre-courant / L’avenir de l’industrie automobile en question

Liêm Hoang-Ngoc  • 19 juillet 2012 abonné·es

Le président de PSA a incriminé le coût du travail pour justifier les difficultés de son entreprise. Or, non seulement le coût unitaire du travail en France est comparable au coût allemand, mais, de plus, le coût salarial ne pèse que 39 % du coût d’une voiture (alors que la part des salaires dans la valeur ajoutée est de l’ordre de 67 % dans l’économie). Aulnay ne se situe d’ailleurs pas sur le même segment que celui des « grandes allemandes » et n’est pas concerné par leur concurrence. Certes, les bénéfices de PSA ont fondu de moitié entre 2010 et 2011, passant de 1,13 milliard à 588 millions, sans que ces derniers soient véritablement consacrés à l’investissement – les actionnaires ayant encore perçu 250 millions de profits. En vérité, les profits n’ont pas baissé parce que le coût du travail est trop élevé, mais parce que PSA, qui réalise 60 % de ses ventes dans une Europe prise dans le piège de l’austérité, est confrontée à une contraction de 10 % du marché français. C’est précisément la demande qui pousse les entreprises à investir. Et c’est l’investissement qui engendre, in fine, les profits, selon l’adage de l’économiste Nicholas Kaldor : « Les capitalistes gagnent ce qu’ils dépensent. »

Le problème, c’est que les capitalistes ne dépensent plus pour investir, car leur stock de capital est sous-utilisé, comme à Aulnay. Ce taux est trop bas parce que les salariés, qui – toujours selon l’adage de l’économiste de Cambridge – « dépensent [tout] ce qu’ils gagnent », subissent une « modération salariale » qui perdure depuis trois décennies. Faut-il le rappeler, le fordisme (modèle de développement articulant production de masse et consommation de masse) n’a été rendu possible que par la redistribution des gains de productivité sous forme de hausses de salaires. Faut-il s’étonner que la seule mesure ayant eu un effet significatif sur l’activité de l’industrie automobile ait été une mesure de soutien à la demande, en l’occurrence la prime à la casse ? Celle-ci avait particulièrement profité aux segments de voitures tels que celui de la C3, fabriquée à Aulnay. Dans ce contexte, comme les constructeurs français ne sont pas positionnés sur le créneau haut de gamme, le successeur du fordisme est le modèle low cost, notamment pratiqué par Renault et porteur de délocalisations.

Pour autant que des mesures favorables au pouvoir d’achat soient souhaitables, un simple « néo-fordisme » serait insuffisant face aux nouveaux défis économiques et écologiques. Si la présence ou l’entrée de l’État dans le capital de groupes de la filière automobile avait une raison, ce serait pour organiser la transition écologique pour laquelle tous les sites de production existants devraient être mobilisés. La réorientation de la production vers la voiture électrique ou, mieux encore, vers la voiture à air comprimé engendre des coûts fixes et la mise en place de réseaux conjoints de distribution d’énergie propre, justifiant un nouvel engagement de la puissance publique. Alors que 4 milliards d’euros d’aides de l’État ont été versés sans contreparties à PSA par l’exécutif sortant, c’est vers ce nouvel horizon productif que doit regarder un gouvernement progressiste.

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