La Tendenza, un nouveau dialogue

Exposition sur le mouvement architectural italien entre les années 1960 et 1980.

Olivier Doubre  • 26 juillet 2012 abonné·es

Ils se voulaient une « tendance ». L’exposition sur le groupe architectural italien emmené par Aldo Rossi, présentée au Musée national d’art moderne (Mnam), intitulée La Tendenza. Architectures italiennes 1965-198 5, est d’abord le résultat d’une immense collecte, devenue collection, de dessins et de maquettes d’architecture depuis une vingtaine d’années. La plus grande au monde, avec plus de 10 000 œuvres. Parmi celles-ci, près de 4 000 concernent la seule architecture en Italie, résultat du travail passionné de recherche mené auprès des architectes transalpins (ou de leurs héritiers) par Concetta Collura, commissaire associée de l’exposition, aux côtés de Frédéric Migayrou, directeur adjoint du Mnam en charge de son Centre de création industrielle.

Pourquoi une si grande part des archives italiennes a-t-elle atterri au Centre Pompidou ? C’est qu’il n’existe aucun musée ou institution d’une telle importance en Italie, capable de conserver, restaurer et surtout montrer ces documents. Sans oublier les susceptibilités identitaires de certains architectes, souvent réticents à voir leurs archives rejoindre le fonds d’une autre région… Les 250 dessins et objets exposés du groupe La Tendenza, qui eut pour figure tutélaire Ernesto N. Rogers, architecte de la reconstruction après-guerre, donnent d’abord à voir un mouvement collectif ouvert aux débats intellectuels de son temps. Dans l’une des premières salles – à côté des planches à la mine de plomb ou aux pastels gras –, sont montrés les liens de ce courant architectural engagé à gauche avec l’existentialisme, Gramsci, l’École de Francfort ou la nouvelle critique marxiste.

Cette attention aux autres sciences sociales ne contredit pas toutefois l’idée-force de La Tendenza, « l’autonomie de l’architecture », rompant là avec la notion d’avant-garde « moderne » liée organiquement à des mouvements politiques : celle de l’architecture fasciste mais aussi celle du « réalisme socialiste ». La Tendenza leur oppose un nouveau « dialogue » avec l’histoire. Sans rejeter cet héritage, les architectes réintroduisent des éléments traditionnels de l’architecture italienne, de l’Antiquité à la Renaissance. D’où la réapparition, au-dessus ou en soutien de quadrilatères en béton armé, de toits obliques aux petites croisées, de tourelles, de clochers, de colonnes circulaires… Une réinterprétation, selon Aldo Rossi – comme il le soulignait dans son ouvrage-manifeste l’Architecture de la ville (1966) –, de la discipline comme « construction de la ville dans le temps ».

L’exposition, qui s’arrête à l’année 1985, donne surtout à voir des dessins, parce que les membres de La Tendenza ont finalement peu ou tardivement construit. Leurs réalisations annoncent clairement l’avènement de l’architecture postmoderne – bien qu’Aldo Rossi ait refusé cette étiquette, préférant celle de « rationaliste » – , aux réalisations souvent critiquables. On peut regretter que l’exposition, qui montre aussi des clichés des constructions les plus emblématiques (comme le Centre d’art contemporain de Vassivière, en Limousin, l’une des rares réalisations d’Aldo Rossi en France), n’esquisse pas une critique de ce que les architectes de La Tendenza ont contribué à initier. Il reste qu’elle propose au visiteur un voyage dans l’évolution des villes et des formes, voulue par une « tendance » qui tenta d’embrasser lien social, lien culturel et politique, sans oublier le mouvement des idées d’une période féconde.

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