Hébergement d’urgence : vivement l’hiver !

Cécile Duflot a promis d’en finir avec la politique d’hébergement « au thermomètre » pour les sans domicile. En attendant, les foyers d’urgence, maintenus ouverts pour certains après le plan hivernal pour atténuer la pénurie, ferment leurs portes dans les prochains jours. Reportage.

Erwan Manac'h  • 31 août 2012
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Hébergement d’urgence : vivement l’hiver !
© Photo : CITIZENSIDE.COM

Les va-et-vient sont discrets, entre les murs vieillis du petit bâtiment. 18 h, ce mercredi, le Centre d’hébergement d’urgence (CHU) « le Refuge », à Pantin, vient d’ouvrir ses portes pour la nuit. Les pensionnaires s’avancent au compte-goutte et échangent un sourire avec le veilleur sorti leur ouvrir la fine porte grillagée, tenue soigneusement fermée. À l’intérieur, des chambres d’une dizaine de mètres carrés accueillent jusqu’à 6 personnes sur des lits superposés. Chacun a droit à un plateau-repas sommaire et peut prendre une douche : une « mise à l’abri » au confort rudimentaire, principalement destinée à des « grands exclus » et des sans-papiers. La plupart des 24 occupants ont rejoint le foyer au cœur de l’hiver, après un appel au 115. Ils devront quitter les lieux, « dans les jours qui viennent ».

« Ce serait étonnant qu’on trouve une solution pour moi, bredouille Cyril, 42 ans, le visage cassé par la rue. Je dois d’abord aller récupérer mon numéro [de sécurité sociale]  » . Posté devant le bâtiment le temps de fumer une cigarette, il peine à se souvenir de son arrivée ici, il y a quelques mois : « Je crois que c’est la maraude du 115 qui m’a emmené, je dormais devant l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis », hésite-t-il. 

Devant le Refuge, peu après l'ouverture du centre.

Ndiaga Sall a appelé le 115 au mois de décembre. En formation de chauffeur poids lourd, il attend de prendre les clefs d’un logement social, à Stains, au mois d’octobre.

Ndiaga Sall, 38 ans.

Une solution pour tous

À sa prise de fonction au ministère du Logement, Cécile Duflot voulait en finir avec le scandale de la « gestion au thermomètre » des places d’hébergement d’urgence. Car, jusqu’alors, les CHU fermaient leurs portes le 31 mars, laissant chaque année des milliers de sans-domicile à la rue. Lâchée par Bercy, elle a dû annoncer brutalement la fermeture, début juillet, des 2 650 places déjà exceptionnellement maintenues ouvertes au-delà du 31 mars (sur 16 500) (lire notre article). Pour faire passer la pilule, trois foyers d’urgence ont été maintenus ouverts en région parisienne – dont le Refuge – en attendant que les « hébergés » soient placés dans des structures de stabilisation. Une bien maigre avancée, devant l’étendue abyssale des besoins. 

Alignement de bungalow à l'arrière du bâtiment.

Au Refuge, l’équipe déstabilisée par ces tergiversations gère tant bien que mal une situation inédite. À quelques jours de la fermeture, il ne reste plus que les grands exclus, qui s’adaptent difficilement aux structures d’accueil plus encadrées comme les Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). La situation reste surtout indénouable pour de nombreux sans-papiers, qui sont admis dans très peu de structures du fait de leur situation administrative. Pour une moitié des usagers présents environ, aucune alternative n’a encore été trouvée.

« Le bonheur, c’est les « plans grand froid » »

Devant le Refuge, mercredi, un quadragénaire fait le pied de grue pour tenter d’obtenir une place à l’usure. Le centre n’est pas plein, mais son nom n’est pas sur la liste. Et ses appels au 115, la seule façon d’obtenir une place, n’ont aucune chance d’aboutir. « Cela fait des semaines que pas une place ne s’est libérée pour un homme seul en Seine-Saint-Denis, raconte la conseillère en affaires sociale et familiale, qui tient la permanence jusqu’à 22 h. La Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (Drihl) refuse de remplir les centres pour des raisons de coût et pour pouvoir annoncer l’ouverture de places au début de la période d’hiver ».

Guillaume Farny est hébergé au Refuge depuis le mois de juillet, lorsqu’il a dû quitter le centre d’hébergement de Ville-Évrard.

Guillaume Farny, 42 ans.

Au mois de juillet, 70 % des demandes d’hébergement sont ainsi restées infructueuses, contre 50 % en moyenne pour les 5 mois d’hiver. « Pour nous le bonheur c’est les « plans grand froid », parce qu’on trouve des places pour tout le monde », ironise la professionnelle. Lassé, au bout de deux heures d’attente, le quadragénaire finit par escalader le grillage pour entrer dans le centre par effraction. Il n’y passera pas plus d’une nuit.

- En juillet 41 649 demandes d’hébergement ont été faites au 115, soit seulement 8% de moins que la moyenne des cinq mois de l’hiver dernier. - 12 081 personnes différentes ont appellé le 115 en juillet. - 70% des demandes n’ont pas donné lieux à un hébergement en juillet (36% en février). (Source Fnars)
### « Été du pire »

Les ouvertures de places, dans les CHU comme dans les structures de stabilisation, ne suivent pas l’explosion préoccupante des besoins. Les Centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) sont saturés et doivent renvoyer les personnes isolées vers les centres d’urgence. Faute de solutions d’accueil, de nombreuses familles de sans-papiers sont logées à l’hôtel au prix de dépenses ubuesques. En Île-de-France, l’État finance ainsi à lui seul 11 000 chambres d’hôtel. « Indiscutablement, on ressent les effets de la crise , raconte aussi Jean-Pierre Vignaud, directeur du Refuge. Nous avons un certain nombre de personnes avec un travail, qui ne trouvent pas de solution pour se loger. On a vu surtout une augmentation du nombre de 18-25 ans dans les plans hivernaux. Avant, ils bénéficiaient de « contrats jeunes majeurs » qui leur permettaient au moins d’accéder à des foyers de jeunes travailleurs. » Nous traversons l’ « été du pire » , alertait le 23 août Matthieu Angotti, directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars), déjà « échaudé » par les cent premiers jours du quinquennat de François Hollande.

Pour faire valoir leur droit à ne pas être remis à la rue, une poignée de sans-abris ont choisi, depuis le mois de février, la voie collective. Un collectif s’est créé parmi les occupants d’un foyer d’urgence sur le point de fermer, à Ville-Évrard, avec le soutien de l’association Droit au logement (Dal). Avec succès. Des prolongations d’un mois, puis deux, sont obtenues in extremis , avant qu’une dizaine d’entre-deux soient déplacés vers le Refuge en juillet. Ils ont dû de nouveau se réunir et convoquer les médias pour obtenir la garantie que le CHU ne serait pas fermé tant que tous ses occupants n’auront pas trouvé de solution. Un apaisement précaire.

Sur demande de Cécile Duflot, le délégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au logement (Dihal), Alain Régnier, a présenté une série de mesures prioritaires, notamment pour l’Île-de-France, sur lesquelles la ministre doit désormais rendre ses arbitrages. Des propositions ont aussi été avancées, comme base de travail à la conférence organisée à l’automne par la nouvelle majorité. Un plan pluriannuel, d’échelle régionale pour l’Île-de-France, doit être élaboré d’ici début 2013.

Société
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