« La Vierge, les Coptes et moi » : Journal de bord d’un cinéaste

Avec la Vierge, les coptes et moi, Namir Abdel Messeeh signe une première œuvre drôle et légère, sans manquer de s’interroger sur la fabrique des films.

Jean-Claude Renard  • 30 août 2012 abonné·es

Boulogne-Billancourt, Noël 2009. Ce soir-là, le réalisateur narrateur s’en va retrouver ses parents, qui ont quitté l’Égypte en 1973. Lui est né à Paris « juste après » , précise-t-il, en voix off. Ses parents sont coptes, « cette minorité chrétienne qui ne s’est pas convertie à l’islam quand l’Égypte a été conquise par les Arabes » . À l’occasion de ce Noël, une amie relate l’apparition de la Vierge, vue par des milliers de coptes, à Assiut, en Haute-Égypte. Elle en a rapporté la preuve sous forme d’une cassette vidéo.

À vrai dire, on ne remarque pas grand-chose à l’image. Seule la mère du réalisateur « voit » la Vierge. Et Namir Abdel Messeeh de trouver là matière à un film. Qui s’ouvre sur la ­non-participation d’un panel de producteurs et de diffuseurs, une liste qui s’égrène sur post-it : Canal +, Gaumont, TV5 monde… Mais « avec le soutien du Doha Film Institute » , précise aussitôt le générique.

Le réalisateur inscrit d’emblée son film dans ses réalités. Celles de l’écriture et celles de l’économie. Tandis que son producteur (retors) le prie de « trouver un titre qui tienne la route » , vu qu’on ne sait « pas vraiment s’il s’agit d’un film sur les coptes, sur la Vierge ou sur lui-même » . Et de filer chez les ancêtres, chargé d’une pile de documents surmontée d’un Guide du routard Égypte .

Si la question des croyances est un sujet pour le cinéaste, il ne s’avance pas seulement dans une virée ­cairote traquant les apparitions, de témoignages en enseignement religieux, avant de poursuivre le voyage du côté des racines familiales, au nord du pays, dans une terre âpre et agraire. L’obsession du financement est un autre sujet (jusqu’aux protagonistes du film non professionnels qui demandent à être payés !). Comme la présence récurrente de la mère du réalisateur, qui finit par prendre le relais d’un producteur défaillant et lassé (de fait, par les temps qui courent, pas facile de faire le lien entre les révolutions arabes et l’apparition de la Vierge).

Mère reproductrice devenant productrice, « même si c’est un film de merde » , en espérant « qu’il y aura des miracles » . Mère sorcière, envahissante, s’invitant dans le cadre. Phagocytante. Mère nourricière aussi, apportant une nouvelle impulsion au film. Après quoi, il faudra encore convaincre une musulmane de jouer la Vierge. Pour son premier long-métrage, le réalisateur n’a pas choisi la facilité.

Estampillé documentaire mais flirtant amplement avec la fiction, la Vierge, les coptes et moi se veut donc un film dans le film. Du déjà-vu et fait certes. Mais dynamisé ici par la distance, l’humilité (la fragilité aussi) du cinéaste devant son sujet. Une pudeur toujours taquinée de malignité, de candeur mesurée et rehaussée d’une fraîcheur fringante, de désinvolture, l’économie de moyens (entendez le manque de flèche) poussant à l’inventivité.

Le toutim sur le mode de l’autodérision. Évidente dans les bondieuseries, notamment quand le réalisateur, dépourvu de sens religieux, est obligé de « se taper toute une messe copte » , évidente dans ses pérégrinations cairotes, dans l’entrelacs d’une signalétique colorée, chahuté par les codes d’une communauté à l’autre, où « partout les barbus sont très appréciés ».

Si Namir Abdel Messeeh est le personnage central de son film (quoique), de ce journal intime, point de narcissisme dans ce qui pourrait paraître « ma mère, moi, moi et moi » . Messeeh dessine un rapport au monde. Et son film touche à l’universel. Pas de hasard si le quotidien des paysans du nord de l’Égypte est brossé en petites touches. Tout ici est affaire de dosage subtil.

Le réalisateur joue donc sur l’imagination, les affabulations, non pas le réel mais une hallucination du réel. Et sans forcer le ton, ni le trait, bascule vers la comédie, dont le point d’acmé serait sa mère (encore) battant le rappel des villageois, à dos de mulet, porte-voix à la main, pour participer à la reconstitution d’une apparition, exigeant son poids d’ordonnance dans le désordre de la distribution des rôles et la mise en scène.

In fine, pour peu que le réalisateur obstiné y croie, le miracle tient la corde. Le miracle étant le cinéma. Agissant comme une féerie aux confins de l’impossible. Le film en est la preuve.

Cinéma
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