Circonspections

Sébastien Fontenelle  • 13 septembre 2012 abonné·es

Juste après que François Hollande s’est produit dimanche soir chez Martin Bouygues – sur TF1 –, Laurent Joffrin, directeur du Nouvel Observateur, s’est fendu, sur le site de cette vénérable publication, d’un billet narrant que le nouveau chef de l’État français s’était montré là « pugnace » (slurp), « précis » (sluurp) et « convaincu » (sluuurp), mais que, tout de même, il « reste cependant quelques points délicats » au sortir de sa prestation.

Notamment, Laurent Joffrin aimerait savoir si les « socialistes » gouvernementaux vont se décider à procéder à une « rupture avec les folies libérales des deux dernières décennies » – ou s’ils vont se contenter de procéder à « une petite correction à la marge des contraintes de la mondialisation en cours ». (La réponse, pour quiconque a déjà assisté, après 1983, au navrant spectacle de l’exercice du pouvoir par les « socialistes », est bien évidemment que non seulement ces navrants personnages ne vont pas du tout rompre d’avec der Kapitalismus [comme on dit à Bremerhaven], mais qu’ils ne vont pas non plus corriger du tout, fût-ce du bout de l’ongle de l’auriculaire, les « contraintes de la mondialisation en cours » – précisément parce qu’ils sont, comme Laurent Joffrin (et ses ami[e]s de l’éditocratie), de l’avis qu’elles sont des contraintes, au sens que donne mon dictionnaire à ce mot : des règles obligatoires, et dont il serait donc vain de vouloir s’émanciper – et ça tombe assez bien, parce que, sans ça, on serait obligé(e)s d’être de gauche, et qu’eeest-ce que ça serait chiant, hein, Martine ? Mais, passons.)

L’amusant, dans ces considérations de Laurent Joffrin (puisque tel était, s’il t’en souvient, notre sujet, avant que nous n’en digressions), est que leur auteur néglige de mentionner que lui-même a été l’un des plus exaltés chantres des « folies libérales des deux dernières décennies » – et peut-être même le plus frénétique, puisque c’est lui qui a, dès le mitan des années 1980, et dans le moment même où les « socialistes » aux affaires prenaient de leur côté la décision de rompre avec le socialisme (plutôt qu’avec les marchés) – de sorte qu’il n’était pas d’un avis très différent de celui des maîtres du pays –, osé crier, l’un des premiers, que « le capitalisme » était « l’avenir de la gauche », et qu’il était temps maintenant, oh, temps maintenant, que cette pauvresse se libère des « tabous » qui la sédimentaient dans le culte soviétoïde de l’État, « masse grisâtre » et mortifère, pour se convertir à la célébration de la concurrence libre et non faussée – et putain, que cette phrase est longue, j’espère que tu suis. Puis de psalmodier : « Vive la crise ! »

Quand Laurent Joffrin endosse sa vêture de dénonciateur des « folies libérales des deux dernières décennies », c’est un peu comme si les laboratoires Servier te reprochaient d’avoir mangé trop de Mediator : ça peut impressionner, mais ça doit être envisagé avec beaucoup de circonspection.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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