Dix années de mauvaises nouvelles

Baisse des ventes, chute des recettes publicitaires, réduction d’effectifs… La presse écrite vit une crise sans précédent.

Jean-Claude Renard  • 20 septembre 2012 abonné·es

La multiplication des chaînes de télévision, la presse gratuite, les sites Internet d’information et l’irruption de nouveaux supports sont autant d’éléments aux implications fortes sur la consommation de la presse. Certes, 6 Français sur 10 déclarent acheter de la presse [^2]. Soit un taux de pénétration de 60 %. Cela n’en constitue pas moins une baisse de 4 points par rapport à 2002. Par tranche d’âge, la baisse est beaucoup plus sensible chez les 15/34 ans. Le taux de pénétration en 2002 était de 67 % ; il est de 59 % aujourd’hui. Il était de 66,8 % chez les 35/49 ans ; il est maintenant de 61 %. Enfin, pour les 50 ans et plus, le taux s’élevait à 58 % ; il est passé à 60 %. Dans les dix dernières années, on observe ainsi une « seniorisation » du lectorat. Dans une certaine mesure, c’est l’évolution démographique (+ 5 %) qui permet de stabiliser le nombre de lecteurs global. Chiffre non négligeable, celui de la presse écrite gratuite : 33 % de Français en sont lecteurs. La presse quotidienne gratuite d’information ( Métro, Direct matin, 20 Minutes ) représente 2,5 millions d’exemplaires chaque jour. Selon les études de Presstalis, principal diffuseur, depuis dix ans, le client se rend toujours aussi souvent à un point de vente, « mais il craque moins souvent ». Entre 2007 et 2010, l’acte d’achat a enregistré une baisse de 14,3 %.

Il existe cependant davantage de lecteurs fréquents par rapport à 2002 : ils étaient 32 %, ils sont 55 % aujourd’hui à lire un journal « tous les jours ou presque » (contre 33 % d’occasionnels et 12 % de lecteurs « peu fréquents »). Parmi ces lecteurs les plus assidus, ils sont 68 % à avoir plus de 50 ans. Mais à l’évidence, ce lectorat ne profite pas à la vente au numéro – et renvoie plutôt à la presse gratuite. À l’évidence encore, la presse écrite est boudée par les jeunes générations, tournées vers Internet, la radio, les chaînes d’info en continu. Déjà fragilisée au début du second millénaire, toujours sous perfusion grâce aux aides de l’État, la presse vit violemment les conséquences de la crise économique amorcée en 2008. Depuis, selon les titres, la publicité, véritable nerf de la guerre, a reculé entre 10 et 30 %, et les ventes ont diminué de 7 à 8 % en moyenne. L’érosion du lectorat et ces chiffres en baisse sont tangibles sur le terrain des rédactions.

Créé en 1944 par Pierre Lazareff, France Soir, après une longue agonie et une reprise manquée, a cessé d’exister au début de l’été dernier. Quelques mois auparavant, c’est le quotidien économique la Tribune qui, après vingt-sept années d’existence, disparaissait des kiosques pour ne réapparaître que sur le web, puis de nouveau sur les présentoirs, en avril, au rythme hebdomadaire (en conservant une cinquantaine de salariés sur les 165). Parallèlement, Paris-Normandie, en redressement judiciaire, endetté à hauteur de 200 millions d’euros, et dont les ventes ont reculé de 25 % en six ans, a dû se séparer de 85 personnes (sur 365), avant d’être sauvé in extremis de la liquidation par deux repreneurs, journalistes. Si l’Express, suivi du Point et du Nouvel Obs, se maintient, même la presse people régresse de 7,1 %, au cours de l’exercice juillet 2011/ juin 2012, selon l’ OJD, l’organe de contrôle de la presse. Public (groupe Lagardère) chute de 15,7 %, Closer (Mondadori) de 9,9 %, Voici affiche – 4 % et Gala – 5,3 % (Prisma Média). Des titres concurrencés par le web, notamment le pure player purepeople.com, attirant plus de 3 millions de visiteurs par mois.

Sur cette même période, et dans la continuité de 2011, les hebdos féminins perdent 2,1 %. Madame Figaro (+ 4,3 %), avec 453 000 exemplaires, Grazia + 2,9 % et Elle (+ 0,3 %) résistent le mieux. C’est le secteur télé, qui représente à lui seul 40 % de la diffusion, qui souffre le plus : -6 % pour Télé Poche, -5,5 % pour TV Grandes Chaînes et Télé Z. Mais, surtout, la situation de l’Équipe (groupe Amaury, possédant également le Parisien ) est emblématique d’un contexte difficile. Le quotidien sportif est contraint d’aménager un plan d’économies et de réorganisation prévoyant 46 départs volontaires, ou forcés, sur l’effectif total de 500 personnes. Un plan qui répond à un net recul des ventes. Entre 2006 et 2011, le titre est passé de 350 000 à 285 000 exemplaires. « Quand le bâtiment va… », disait l’autre. A contrario, quand l’Équipe va mal… L’année 2011 n’a pas été moins turbulente. Longtemps épargné, le quotidien économique les Échos (contrôlé par LVMH) annonçait fin 2011 un plan d’économies de 12 à 14 millions d’euros avec 30 à 40 départs (sur un effectif de 430 salariés). Tandis que le Parisien passait par un plan de relance de 30 millions d’euros et par la suppression d’une cinquantaine de postes (sur un total de 540). En 2010, l’Humanité avait enregistré une baisse de 500 000 euros de recettes publicitaires et perdu 2 millions d’euros. La crise de la presse écrite a naturellement des conséquences économiques pour la diffusion et la distribution. Malgré une série de plans de modernisation ces dernières années, Presstalis, concurrencé par les Messageries lyonnaises de presse (MLP) – qui attirent notamment certains titres comme le Point  –, au bord du redressement judiciaire, s’apprête à se séparer de 1 000 personnes sur ses 2 500 salariés et à fermer 77 dépôts sur 140. Résultat : une distribution des journaux chahutée par des mouvements de grève, fragilisant un peu plus les titres. On se mord la queue.

Assurément, la presse écrite alterne crises et turbulences. Jusqu’à quand ? Confrontée à la puissance d’Internet, aux déplacements des budgets publicitaires vers le numérique, à la désaffection du jeune public, elle est en pleine mutation. Pourtant, deux titres au support différent affichent une santé contredisant des résultats et des perspectives en berne : le Canard enchaîné, résolument sur papier, continue de vendre autour de 500 000 exemplaires chaque mercredi, et connaît encore une progression de ses ventes de + 2,44 % en 2011, tandis qu’avec ses 58 000 abonnés, Mediapart est parvenu sur Internet à trouver son équilibre économique – quoique sur écran, il s’agit aussi de presse écrite. L’avenir s’inscrit sans doute dans l’équation entre le papier et le web. Avec l’obligation de se renouveler et de s’adapter. Tout en conservant la qualité de ses contenus, comme l’exige le lecteur.

[^2]: Source Presstalis.

Publié dans le dossier
La presse écrite a-t-elle un avenir ?
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