Si la petite histoire devient grande…

L’un des fondateurs du Front de gauche, Éric Coquerel, revient sur l’acte de naissance de la nouvelle formation.

Denis Sieffert  • 27 septembre 2012 abonné·es

Si le Front de gauche rencontre l’histoire, ce qui n’est pas encore acquis, il aura son historien des origines. Celui-ci n’a sans doute pas la distance critique qui sied à ce genre littéraire (il ne la revendique d’ailleurs pas), mais il a l’avantage d’avoir tout vécu de l’intérieur, et d’avoir été lui-même un acteur de la première heure de l’aventure mélenchonienne. Ce témoin privilégié, c’est Éric Coquerel, aujourd’hui l’un des principaux dirigeants du Parti de gauche. Son livre a le mérite de faire, par le menu, le récit des premières heures. Comme souvent, l’affaire prend tournure dans des restaurants : « Un restaurant asiatique du XXe arrondissement », en juin 2008, puis un autre, situé « non loin de l’Odéon ». C’est là que Mélenchon annonce pour la première fois son intention de quitter le Parti socialiste si celui-ci « ne bouge pas profondément ». En novembre, le PS tient son congrès. Et, évidemment, rien ne bouge. Le sénateur Mélenchon passe à l’acte, bravant une loi maintes fois éprouvée, selon laquelle on ne quitte le Parti socialiste qu’à ses dépens. Avec les dissidents qui ont cru depuis 1920 s’émanciper des pesanteurs de la « vieille maison », on pourrait sans doute faire un parti majoritaire… Le dernier en date, Jean-Pierre Chevènement, est peu ou prou rentré au bercail après vingt ans d’errance minoritaire.

Mais Jean-Luc Mélenchon pense sa future histoire en d’autres termes. Son modèle est le parti de la gauche antilibérale allemande Die Linke, avec une trouvaille supplémentaire : le Parti de gauche s’inscrira dans un ensemble plus vaste, un « front » qui rassemble plusieurs courants selon une subtile articulation. « Une offre double », selon l’expression de Coquerel. Pour que l’opération réussisse, il lui faut absolument convaincre les communistes de s’associer à l’entreprise. Une personnalité joue un rôle décisif dans cet épisode : Marie-George Buffet. L’affaire sera plus compliquée avec le tout jeune Nouveau Parti anticapitaliste d’Olivier Besancenot, qui n’entrera pas dans la coalition. Officiellement, le NPA redoute que Mélenchon ne cède aux sirènes socialistes après la présidentielle. Pour Coquerel, la vérité est ailleurs : « Les dirigeants du futur NPA pensent que leur projet va l’emporter pour rassembler les anticapitalistes, et qu’ils n’ont nul besoin de s’embarrasser d’alliés. » Il est vrai qu’en novembre 2008, à l’heure des congrès fondateurs, le rapport de force est nettement en faveur du NPA. « La première d’une longue série d’erreurs », commente Coquerel. Finalement, le refus du NPA servira la cause de Mélenchon. On connaît la suite : les européennes, la présidentielle, le « phénomène Mélenchon ». Mais tout cela appartient encore à l’actualité.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »
Entretien 5 novembre 2025 abonné·es

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »

Des millions de personnes dans les rues, un pays bloqué pendant plusieurs semaines, par des grèves massives et reconductibles : 1995 a été historique par plusieurs aspects. Trente ans après, la politiste et spécialiste du syndicalisme retrace ce qui a permis cette mobilisation et ses conséquences.
Par Pierre Jequier-Zalc
1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique
Analyse 5 novembre 2025 abonné·es

1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique

Le mouvement de 1995 annonce un retour de l’engagement contre la violence néolibérale, renouant avec le mouvement populaire et élaborant de nouvelles problématiques, de l’écologie à la précarité, du travail aux nouvelles formes de solidarité.
Par Olivier Doubre
Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »
Entretien 29 octobre 2025 libéré

Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »

Spécialiste du mouvement ouvrier français et du communisme, l’historien est un fin connaisseur des divisions qui lacèrent les gauches françaises. Il s’émeut du rejet ostracisant qui les frappe aujourd’hui, notamment leur aile la plus radicale, et propose des voies alternatives pour reprendre l’initiative et retrouver l’espoir. Et contrer l’extrême droite.
Par Olivier Doubre
Qui a peur du grand méchant woke ?
Idées 29 octobre 2025 abonné·es

Qui a peur du grand méchant woke ?

Si la droite et l’extrême droite ont toujours été proches, le phénomène nouveau des dernières années est moins la normalisation de l’extrême droite que la diabolisation de la gauche, qui se nourrit d’une crise des institutions.
Par Benjamin Tainturier