The We and the I : Sur la ligne de vie

Michel Gondry embarque dans un bus les petites existences de grands ados du Bronx. Un voyage urbain déployé comme un tableau vivant.

Jean-Claude Renard  • 13 septembre 2012 abonné·es

C’est la fin des classes. Des grappes de lycéens du Bronx prennent d’assaut le bus 66 pour rentrer à la maison, avec trois mois de vacances en perspective. Une caméra à l’épaule suit cette hystérie collective que représente une fin d’année scolaire. Sous l’œil surveillant de la conductrice, et dans le brassage ethnique, s’y bousculent de frêles caïds, des petites frappes, des forts en gueule et grands déconneurs, des maîtres du chahut et de la provocation, des introvertis forcément discrets, des souffre-douleur, des minettes bientôt délurées. Tous enfants de démunis. Ça chicane pour pas grand-chose dans le véhicule. Gare aux faibles alors.

De longs panoramiques fixent ce gigantesque quartier pauvre de New York, avec ses passerelles d’autoroutes défigurant le paysage urbain, ses magasins, ses blocs, ses pâtés de maisons, ses grands panneaux publicitaires. Des panoramiques qui sonnent comme des « sorties de bus », des stations, des respirations, à l’instar des petites vidéos illustrant la vie des uns et des autres que s’échangent les lycéens sur leur téléphone portable. Des vidéos qui ne s’épargnent pas de moqueries ni d’humiliations. Dans la cohue, tombent des règlements de comptes, une violence physique et verbale, sexuelle, des bribes d’existence aussi. Des bribes qui se racontent, qui s’allongent au fil du trajet et des arrêts, selon que ses usagers restent plus ou moins longtemps dans le bus. Tel est le parti pris du réalisateur, Michel Gondry : suivre ces lycéens (de jeunes apprentis comédiens), évoquer un arc-en-ciel d’existences, de la manière la plus épurée, sans artifice, sinon le recours à ces petites vidéos symboliques d’une génération. Filmer ces lycéens le temps d’un trajet crucial (le jour de la fin d’année scolaire se voulant propice aux confessions et brisant les routines), filmer encore, au fur et à mesure que le bus se vide et se remplit d’intimité en contrepartie, passant ainsi du collectif à l’individu (entre « le nous et le je », donnant le titre du film), avec une caméra moins brinquebalée, plus calme et posée, sous un crépuscule marquant la fin du trajet (ce crépuscule étant peut-être le seul artifice du film, sachant qu’une traversée du Bronx ne dépasse pas une heure de trajet).

L’idée de voir un personnage se livrer, selon un temps imparti, est intéressante ; elle ne manque pas ici de défauts dans son accomplissement. Si le dispositif formel tient jusqu’au bout, si le tableau vivant se révèle très juste avec ses tensions, ses rapports sociaux, si le rap accompagne remarquablement les soubresauts d’un faux road-movie, au fil des stations, le spectateur a vite fait de cerner les personnages, les bons et les mauvais (caractères), qui iront au bout du trajet, occupant l’écran jusqu’au terminus. Ce sont ceux qui poussent la corde sensible sur un parent souffrant ou décédé. Au bout du trajet, c’est une sensiblerie facilement évitable qui donne au terminus son goût d’inachevé.

Cinéma
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