« Wrong » de Quentin Dupieux : Chacun cherche son chien

Avec Wrong, Quentin Dupieux livre un film à la fois drôle et angoissé, dominé par l’absurde. Déroutant.

Jean-Claude Renard  • 6 septembre 2012 abonné·es

Une camionnette brûle à côté d’un groupe de GI’s impassible. Au milieu, un homme casqué baisse son froc. Et lit un journal. Une lumière crépusculaire d’un acier bleuté arrose les personnages, filmés en plan large puis rapproché. Cette première scène donne le ton. Non-sens et absurde. Le synopsis est au diapason : un homme, Dolph, a perdu son chien Paul. Il le cherche en vain. Ni son voisin ni son jardinier Victor ne l’ont vu. De quoi plonger Dolph dans le désespoir. Jusqu’à la rencontre avec un certain Master Chang, à la tête d’une organisation luttant contre la maltraitance des animaux domestiques. Elle kidnappe les bêtes pour inspirer à leurs propriétaires un regain d’amour envers elles.

Dolph, lui, ne manquait pas d’amour pour son chien, ni de preuves d’amour. Loin de toute maltraitance. Mais peu importe. Peu importe également la nature de la pizza que lui propose le prospectus d’une société de livraison à domicile. Dolph s’interroge davantage sur le logo de cette société, Organic Pizza, un lièvre enfourchant une moto. Pourquoi pas ? Peu importe encore qu’Emma, la séduisante directrice de cette boîte à pizzas, lui propose de passer la nuit avec elle, sans le connaître, et glisse dans un quiproquo la conduisant dans le lit de Victor (Éric Judor, tout en sobriété). Peu importe, au sortir du quiproquo, que Dolph ne soit pas Victor. Tout est possible, et rien n’est important.

Reste le cabot. Toujours introuvable, malgré les promesses de Master Chang. Wrong est un film sur la disparition d’un chien et le tourment de son maître (Jack Plotnick, toujours juste, ne surjouant ni la sinistrose ni le paradoxe d’une situation). Thème majeur du film ? Non, un prétexte. Tout cela paraît sans queue ni tête. C’est exactement ça. Et alors ? Entre peu importe et pourquoi pas, entre absurde et réalité, le récit emprunte au non-sens et au presque comique, tout en piquant une tête vers le drame, le malaise ou le cauchemar taraudé d’angoisses. Et inversement. Affaire de funambule. Réalisateur français tournant aux États-Unis et en langue anglaise (comme Rubber, son précédent film), également musicien versé dans la musique électronique, Quentin Dupieux, au récit et derrière la caméra, ne s’embarrasse pas de frontières entre les univers. Dans son cabinet de curiosités se bousculent un détective en transe d’indices, en quête d’étrons et de doudou pour clébard à caractère sexuel, un réveil qui passe de 7 h 59 à 7 h 60, des questions incongrues aux réponses qui ne le sont pas moins, un palmier qui vire du jour au lendemain en sapin, un bureau inondé par une pluie diluvienne où viennent travailler une poignée d’employés, comme Dolph, pourtant licencié trois mois auparavant, comme si de rien n’était. Peu importe.

Avec une économie de moyens, de plan fixe en plan fixe, de décalages en hasards, Wrong pourrait interroger notre rapport au réel. Ou peut-être pas. Le réalisateur menant sa barque comme il l’entend. En déroutant subtilement. Au spectateur de suivre cette contamination du réel par l’absurde et le bizarre. Ou pas. Drame ou comédie ? Torts et travers d’un homme seul ayant perdu son clebs, ou vaste comédie humaine qu’il faudrait fuir, à l’instar du voisin décanillant sur les routes désertiques de Californie ? Quentin Dupieux laisse le choix. Entre la perplexité, la comédie et le drame. Ça laisse une marge.

Cinéma
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