À contre-courant / Indépassable Keynes

Christophe Ramaux  • 25 octobre 2012 abonné·es

L’intérêt général n’est pas réductible au jeu des intérêts particuliers, la macroéconomie à la microéconomie. L’initiative privée a du bon [^2], mais elle ne peut tout faire. Le plein-emploi, la stabilité financière, la protection sociale, les services publics et bien sûr l’écologie : tout cela exige de l’intervention publique. Tel est le cœur des thèses keynésiennes.

Le néolibéralisme a proclamé la fin de Keynes. Son programme s’est déployé autour de quatre principaux volets : libéralisation financière, libre-échange, austérité salariale et contre-révolution fiscale. Très rapidement (dès les premières années Reagan en fait), il est apparu que ce régime n’était pas viable. Nos sociétés sont salariales : la compression permanente des salaires directs ou indirects (retraite, allocation-chômage…) conduit à un choc négatif de demande et donc de débouchés pour les entreprises. Dès les années 1980 et 1990, puis plus encore dans les années 2000, les États-Unis, les premiers, ont été contraints d’opter pour une certaine forme de keynésianisme. Un keynésianisme libéral toutefois, avec, par exemple, une politique monétaire accommodante afin de soutenir la demande… mais par l’endettement privé des ménages.

La dette en lieu et place des salaires : cet artifice néolibéral a explosé à partir de 2007. La crise ouverte alors marque la fin du néolibéralisme. Du moins comme régime pouvant promettre une certaine viabilité en termes de croissance et d’emploi. Ce régime peut certes perdurer longtemps encore – la classe prédatrice des hauts cadres de la finance et des grandes firmes a beaucoup gagné aux « Trente Dernières Piteuses » –, mais uniquement sur le mode de l’enlisement sans fin dans la crise. C’est exactement ce qui se produit. Pour éviter que la « Grande Récession » ne se transforme en Grande Dépression, les États sont certes intervenus. Le retour à Keynes fut proclamé. Mais dans les faits, c’est à nouveau un Keynes raboté qui a été mobilisé. La rupture avec chacun des quatre principaux volets du néolibéralisme, sans laquelle aucune sortie de crise n’est envisageable, n’a pas eu lieu.

Pire, dès 2010, alors même que la reprise était à peine amorcée, les néolibéraux ont repris l’offensive. Prenant prétexte de la hausse des dettes publiques, une conséquence pourtant directe de leur crise, ils ont prôné l’application encore plus radicale de leur modèle. C’est en Europe que cette contre-offensive s’est déployée avec le plus de violence. Le résultat est une impasse complète : la baisse des dépenses publiques provoque la récession, ce qui non seulement fait exploser le chômage, mais réduit les recettes fiscales, de sorte que les déficits publics ne se réduisent pas ou peu. Le FMI lui-même vient de le reconnaître [^3] : le « multiplicateur budgétaire » actuel, dit-il, n’est finalement pas de 0,5, mais est compris entre 0,9 et 1,7. Une baisse des dépenses publiques équivalente à 1 point de PIB provoque donc une baisse de 0,9 à 1,7 de ce dernier [^4]. Et comme les recettes dépendent du PIB…

L’acharnement du gouvernement Ayrault à réduire les dépenses publiques pour ramener le déficit à 3 % dès 2013 est synonyme de régression sociale. Mais c’est aussi une ineptie économique. Keynes est décidément indépassable. Reste à en tirer enfin pleinement la leçon.

[^2]: Le pays qui a le plus supprimé d’emplois publics ces dernières années est Cuba (où leur part dépassait les 80 % !).

[^3]: Perspectives de l’économie mondiale , FMI, octobre 2012.

[^4]: Pour une présentation de ces enjeux, voir sur le site des Économistes atterrés « Diafoirus à la Cour des comptes », juillet 2012.

Économie
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