À contre courant / La fuite en avant de l’Union européenne

Jérôme Gleizes  • 4 octobre 2012 abonné·es

Le débat sur le TSCG témoigne de la fuite en avant économique européenne. Peu d’économistes soutiennent la stratégie de ce traité. Il existe même un manifeste international pour un retour à la raison en économie 1, signé par de nombreux économistes orthodoxes, dans lequel nous pouvons lire : « Les importants déficits publics que nous voyons aujourd’hui sont une conséquence de la crise, et non sa cause […], nous ne devrions pas aggraver les choses par de larges coupes dans les dépenses publiques, ou de fortes augmentations des taux d’imposition sur les gens ordinaires. Malheureusement, c’est exactement ce que de nombreux gouvernements sont en train de faire. » Quant à ceux qui soutiennent la stratégie de ce traité, ils le font souvent via une lecture incompatible avec l’interprétation juridique du texte. Par exemple, demander simultanément de reporter d’une année le taux de 3 % de déficit budgétaire et défendre la ratification du traité est antagonique avec l’existence d’une règle d’or contraignante ad vitam aeternam  ! Au-delà de ces interprétations de texte, trois instituts de prévision européens (OFCE, IMK et Wifo) avertissent que « la politique d’austérité généralisée […] élargira le fossé au sein de la zone euro. Par cette politique, la crise ne sera pas résolue mais aggravée », avec une perte de croissance entre 2010 et 2013 de 8 % en France. 2

D’autres utilisent le concept de déficit structurel [^4] pour élaborer des perspectives de sortie de crise. Même si on fait abstraction du fait que la Commission européenne calcule son niveau, son principe repose sur un problème de fond. Un faible niveau de déficit structurel pertinent signifierait que l’écart conjoncturel serait élevé, et donc que nous serions éloignés de notre niveau maximal de production. Argument croissantiste par excellence, mais totalement irréaliste sans politique structurelle de rupture avec l’ancien mode de production ! À l’inverse, croire que tout déficit budgétaire est salutaire, c’est ne pas saisir aussi qu’au-delà des causes critiquables de la hausse de l’endettement, comme les cadeaux fiscaux et le sauvetage des banques en 2008, il y a une crise profonde de notre système de production : le ralentissement structurel de la croissance rend difficile le remboursement des dettes passées.

Nombre de journalistes ont accusé Europe Écologie-Les Verts d’être irresponsable après le vote contre la ratification du TSCG. Pourtant, si faire de la politique c’est être responsable et dire la vérité, alors aujourd’hui il faut avoir le courage de dire que les objectifs de ce traité ne seront pas atteints. Et non, comme certains de ses partisans, annoncer qu’il est déjà caduc et ne sera pas appliqué. Une application même partielle du TSCG aura des effets austéritaires. A fortiori, pourquoi voter un texte que l’on juge inapplicable ? La situation européenne est suffisamment grave, il est inutile d’attendre son aggravation ou d’appliquer des politiques qu’on sait inefficaces. Il faut, comme en 1919 quand Keynes s’élevait contre les conséquences économiques du traité de Versailles, ingérables pour l’Allemagne, dénoncer aujourd’hui un traité qui, en institutionnalisant les erreurs passées, nous amène droit dans le mur.

  1. www.manifesto-foreconomic-sense.org/
  2. www.ofce.sciences-po.fr/blog/?p=1671

Pour aller plus loin, voir mon argumentaire : http://blogs.mediapart.fr/edition/article/070912/pourquoi-il-faut-dire-non-au-traite-europeen-tscg

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

Temps de lecture : 3 minutes

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