Questions autour d’une « taxe Tobin »

Une taxe sur les transactions financières va être créée dans une partie de l’eurozone. Mais des interrogations demeurent sur la mise en pratique de cette ancienne revendication altermondialiste.

Michel Soudais  • 18 octobre 2012 abonné·es

Après des années de refus et de tergiversations, une taxe sur les transactions financières, inspirée de la fameuse taxe Tobin chère aux altermondialistes, va enfin être mise en place en Europe. La bonne nouvelle est tombée le 9 octobre, en plein débat sur la ratification du traité budgétaire européen. Le gouvernement y a vu aussitôt la preuve que la réorientation de l’Europe était engagée. La création de cette taxe était « un des piliers du pacte pour la croissance et l’emploi » réclamé par François Hollande pour rééquilibrer le traité budgétaire, a notamment rappelé Pierre Moscovici. Ce que le ministre de l’Économie présente comme une « grande victoire » doit néanmoins être relativisé. Car plusieurs questions restent en suspens, avant que cette taxe ne soit effective. Sans doute pas avant 2014.

Quels pays acceptent de l’appliquer ?

Pour l’heure, onze pays sur les dix-sept de la zone euro ont accepté d’appliquer un prélèvement sur les transactions financières : l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Autriche, la Belgique, la Grèce, la Slovénie, la Slovaquie et l’Estonie. Afin de surmonter la résistance du Royaume-Uni, catégoriquement opposé à tout ce qui pourrait porter atteinte à son industrie financière, la France et l’Allemagne avaient obtenu du Conseil européen, fin juin, la possibilité de mettre en place une taxe sur les transactions financières par le biais d’une coopération renforcée. Pour cela, il était nécessaire que neuf États au moins signifient leur accord à la Commission européenne. C’est ce quorum qui a été atteint le 9 octobre lors d’une réunion des ministres des Finances de la zone euro. Si le recours à la procédure de coopération renforcée, prévue dans les traités, permet enfin d’envisager la mise en place d’une taxe réclamée depuis une quinzaine d’années par les altermondialistes, il prend également acte de l’impossibilité de réaliser ce projet dans l’ensemble des vingt-sept pays de l’UE, comme dans la zone euro, où les Pays-Bas et le Luxembourg font bande à part.

Quelles seront les transactions taxées ? Et selon quel montant ?

Selon une proposition de la Commission européenne de septembre 2011, sur la base de laquelle les onze pays volontaires vont désormais discuter pour arrêter les modalités de cette taxe, il s’agirait de prélever 0,1 % des transactions portant sur les actions et les obligations, et 0,01% de celles réalisées sur les produits dérivés. Or, rappelle l’association Attac, « le projet de la Commission européenne exclut les transactions de change, sans aucune justification, alors même qu’elles représentent environ la moitié des transactions financières en Europe ». Lors de la campagne électorale, François Hollande s’était engagé – c’était son 7e engagement – à proposer « la création d’une taxe sur toutes les transactions financières ». Quant au projet du PS, adopté en juillet 2011, il proposait d’instituer cette taxe à un taux uniforme de 0,05 %. Il y aura donc matière à discussion autour du projet de texte que la Commission s’est engagée à fournir pour la réunion des ministres européens des Finances du 13 novembre.

À quoi serviront les fonds recueillis ?

L’affectation des fonds récoltés reste aussi à déterminer. Paris et Berlin ne sont pas d’accord sur l’utilisation du produit de la taxe. La France et l’Autriche ont déclaré le 9 octobre souhaiter qu’une partie de la taxe sur les transactions financières puisse financer un fonds dédié à la formation des jeunes Européens. L’Allemagne préférerait conserver le produit de la taxe pour son propre budget. La Commission européenne souhaite, elle, affecter une partie de la taxe au budget européen en échange d’une remise sur leur contribution au budget communautaire accordée aux États qui appliqueront la taxe. À en croire l’association Attac, certains seraient tentés de l’affecter à « un fonds de sauvetage pour les banques en difficulté », ce qui « serait inadmissible ». Pour Oxfam France, la taxe n’étant pas instaurée par les 27, il est très probable que chaque pays décide nationalement de son affectation ; avec « le risque que ces nouveaux revenus viennent combler les déficits budgétaires, aux dépens d’un investissement dans l’aide au développement » qui était pourtant le premier objectif des inventeurs de cette taxe.

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