Sécu : le gouvernement « limite la casse »

Sociologue spécialiste des questions de santé publique, Frédéric Pierru revient sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2013.

Clémence Glon  • 8 octobre 2012
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Sécu : le gouvernement « limite la casse »
© Photo : AFP / Charly Triballeau

Comme un arrière-goût de rigueur. Présenté lundi 1er octobre, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) déçoit l’ensemble des syndicats et organisations de la santé. Il fallait s’y attendre : le premier objectif de cette politique est de limiter les dépenses. Pour Frédéric Pierru, sociologue spécialiste des questions de santé publique, « la casse sociale » a été limitée.

Politis.fr : La politique de santé présentée diffère-t-elle de ce qui s’est fait ces dernières années ?

Frédéric Pierru : Il y a une continuité quant à l’accent mis sur le redressement des comptes sociaux. La présentation du PLFSS par Marisol Touraine et Jérôme Cahuzac est déjà tout un symbole. Le PLFSS est par nature budgétaire, ce qui regrettable. Il fait le lien entre des préoccupations économiques et les objectifs de santé. Mais en regardant les mesures de plus près, on note tout de même des ruptures. La première, c’est que les politiques précédentes jouaient beaucoup sur le transfert de charges et de dépenses de la sécurité sociale vers les complémentaires santé et les ménages. La deuxième rupture concerne l’hôpital. Clairement, le PLFSS présenté revient sur un certain nombre de dispositions de la loi Hôpital, patients, santé, territoire (HPST) et reconstitue l’unité du service public hospitalier qui avait été aboli. Il met également fin à la convergence tarifaire entre public et privé. L’industrie pharmaceutique et la politique du médicament vont être mises à contribution pour redresser les comptes sociaux tant en terme de prix des médicaments qu’au niveau des pratiques de prescription.

Fallait-il mettre à contribution les retraités imposables pour financer la dépendance ?

Sur le principe, je ne trouve pas choquant d’augmenter les prélèvements obligatoires pour financer la sécurité sociale. Les dépenses de santé augmentent chaque année de 4,2 % par an, il est donc normal de consacrer une part de notre richesse de plus en plus importante à la santé. Augmenter les prélèvements obligatoires permet de préserver une solidarité face à la santé. La question qui doit être posée est : quelle part de la population doit payer ? Deux prélèvements sont particulièrement inégalitaires. Ceux effectués auprès des clients d’une complémentaire santé d’une part, et ceux effectués auprès des malades d’autre part (financement privé). Il est préférable de faire une politique d’augmentation des prélèvements obligatoires plutôt qu’une politique d’augmentation de la part du financement privé mise en place par le dernier gouvernement. Il n’y a pas de martingale en matière d’économie de la santé ! Les retraités imposables ont un niveau de vie supérieur à celui des actifs et consomment massivement les dépenses de santé. Dans le contexte actuel, il n’est pas scandaleux qu’ils soient mis à contribution.

Une augmentation de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) de 2,7 % pour 2013 est-elle réalisable ?

François Hollande a tranché. Durant la campagne, il avait annoncé une augmentation de l’ondam à 3 % alors que le gouvernement précédent le prévoyait à 2,5%. Il l’a finalement fixé à 2,7%. C’est déjà très ambitieux. Les dépenses d’assurance maladie augmentent spontanément de plus de 4% par an. Mais l’écart entre l’ambition des économies à réaliser et les mesures annoncées me laisse un peu dubitatif. Les économies ciblées, notamment sur le médicament, semblent bienvenues. Il faut cependant se préparer à un chantage à l’emploi déployé par l’industrie pharmaceutique. D’autres mesures structurelles, comme la réorganisation des soins hospitaliers, sont bonnes, mais elles n’auront pas d’effet immédiat. Le seul mérite des mesures de déremboursement, très inégalitaires, est que les économies se font sentir immédiatement. Pour le reste, elles sont inégalitaires et socialement injustes, voire contre-productives sur le plan des inégalités de santé. Il est positif que cette voie soit provisoirement fermée.

Quels sont les points faibles du PLFSS 2013 ?

La politique annoncée en matière de médecine de ville est bien trop timide. 200 médecins mobilisés pour résorber les déserts médicaux, ce n’est rien ! Il y a tout de même une raison institutionnelle derrière ça : la médecine de ville relève de la caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Aussi, le parti socialiste avait vertement critiqué les franchises médicales lors de leur entrée en vigueur. Et le PLFSS ne les modifie en rien. Autrement dit, il est pris acte du retrait de l’assurance maladie du financement des soins courants. Aujourd’hui, l’assurance maladie ne prend en charge que 50 à 55% des dépenses qui relèvent des soins longue durée et d’hospitalisation. Il y a donc une politique du statu quo. Sur ce point, le PLFSS gèle la situation héritée en 2012.

Quelles seront les conséquences de ces économies annoncées ?

Le système de santé devrait déjà fonctionner de manière plus juste. Je pense aussi que le climat va s’améliorer au sein des hôpitaux. La reconstitution du service hospitalier et l’abandon de la convergence tarifaire entre service public et service privé – qui était purement idéologique et qui ne se justifiait pas – sont des signes forts. Si les inégalités en matière de santé ne vont pas s’aggraver, elles ne vont pas n’ont plus s’améliorer puisque les mesures prises auparavant ne sont pas revues. C’est un PLFSS de rigueur. En même temps, il ne s’en sort pas trop mal au regard des mesures prises sur le plan macro-économique. En terme de justice sociale, il limite la casse sociale. On pourrait imaginer un PLFSS beaucoup plus ambitieux, mais il faudrait revoir alors tous les paramètres économiques et politiques, ce qui n’est à l’évidence pas l’option gouvernementale. Il n’y a aucune fatalité à camper une position aussi défensive, que le gouvernement appelle « réaliste ». C’est une histoire de volonté d’instaurer des rapports de force politiques favorables au travail. Cette volonté semble faire défaut.

Santé
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