Client, tout un métier

Marie-Anne Dujarier, sociologue du travail, a mis au jour les conséquences du transfert de certaines tâches au consommateur.

Pauline Graulle  • 15 novembre 2012 abonnés

Les caisses automatiques («  self-scanning » ) au supermarché, les billets de train ou d’avion à imprimer soi-même, la commande de repas via une borne électronique… Le monde contemporain est truffé de ces robots qui, en lieu et place des pompistes, caissiers et autres salariés du secteur des services, sollicitent la participation du consommateur.

Il faut dire que celui-ci est une main-d’œuvre idéale : gratuite, disponible et motivée. Seul bémol, notre « indifférence » à l’objectif de profit de l’entreprise, indique Marie-Anne Dujarier, qui se penche sur ce phénomène dans le Travail du consommateur  [^2]. Si le pur intérêt économique n’est pas toujours prouvé à court terme – en raison notamment des investissements en machines –, ce transfert des tâches peut permettre à une banque, par exemple, d’économiser 80 % de ses coûts quand un client réalise ses opérations en ligne plutôt qu’au guichet. Le procédé est bien connu du secteur low cost, qui aime à remplacer un interlocuteur par des créatures virtuelles (le site de voyages Lasminute) ou par des bornes (comme chez McDo), voire à faire fabriquer le produit par l’acheteur lui-même (Ikea). Par quelle magie le client-roi accepte-t-il de travailler gratuitement ? Le gain d’argent, de temps et la simplicité – versus la lenteur et la complexité des relations humaines – sont les principaux motifs invoqués pour motiver les troupes et… augmenter leur productivité.

Restent les effets de cette robotisation. Davantage d’exclus de la consommation courante (les 12 % de Français qui peinent à l’écrit, les millions d’interdits bancaires, les handicapés), mais aussi des suppressions d’emplois en masse et une flexibilité accrue des postes restants. Ce « divorce de la relation et de la prestation » a pour autre conséquence la création d’un univers paradoxal où règne la solitude mais où pullulent les « vigiles », puisqu’il faut bien « prévoir de nouveaux dispositifs de contrôle du consommateur […] comme du travailleur qu’il est aussi ». Un monde où c’est aux hommes de s’adapter à la raideur des « hotlines » et autres commandes déshumanisées, qui créent des « situations bureaucratiques parfois inextricables ». Le meilleur des mondes pas chers, en somme.

[^2]: La Découverte, 2008, 247 p, 18 euros.

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