Fugue en mode mineur

Pour sa dernière mise en scène, Joël Jouanneau a choisi le Naufragé, de Thomas Bernhard.

Gilles Costaz  • 22 novembre 2012 abonné·es

Un metteur en scène qui renonce, c’est rare. En général, les artistes qui ont trouvé leur place se gardent bien de mettre fin à leur activité. Ou ils savent se renouveler, ou ils produisent le spectacle de trop, parfois un paquet de trop ! Joël Jouanneau, lui, présente un dernier spectacle et ne se consacrera plus qu’à l’écriture. Il avait donné sa première pièce en   1987 et s’était surtout fait connaître à partir du Bourrichon  (1989), très belle œuvre sur l’enfant en quête de maître et de repères. Ensuite, il est devenu un artiste souvent présent au festival d’Avignon et dans le circuit subventionné avec ses textes et ses mises en scène, travaillant tantôt pour le jeune public, tantôt pour le public tout court. Certaines des réalisations de Jouanneau sont marquantes : ses mises en scène de Beckett, Pinget, Walser ou Elfriede Jelinek, ou de ses propres pièces. À 66 ans, il se retire en publiant un mini-livre et en mettant en scène, une ultime fois, Thomas Bernhard. Ce mini-livre, Post-Scriptum, est une lettre à soi-même, écrite à la deuxième personne et en pointillé. Jouanneau s’y montre, enfant, dans la ferme où travaillent ses parents, au cœur d’un monde assez animal. Puis ce ne sont que des flashs, des récits, des portraits rapides et pourtant écrits avec la méticulosité patiente de celui qui a fait de la lecture – plaisir quasi inconnu dans son milieu – une religion. Ainsi évoque-t-il l’acteur David Warrilow ou le directeur de théâtre René Gonzalez. Journaliste, instituteur, militant, il n’a choisi le théâtre qu’à l’âge de 40 ans. Cela change les perspectives. Rien qui ressemble à l’exercice de plastronner. L’ouvrage est plutôt un beau bréviaire artistique où l’essentiel surgit comme des moments de chance que l’auteur se repasse en quelques séquences, encore ébloui.

Le texte de Thomas Bernhard, le Naufragé –  pas une œuvre dramatique, un récit que Jouanneau a adapté – traite précisément de l’échec, de ce déclin où tombent les artistes sans lucidité. Bernhard conte le destin de trois pianistes, dont l’un s’appelle Glenn Gould. Bien évidemment, les deux autres vont être éclipsés par cet interprète fulgurant. L’un d’eux sera ce « naufragé » dont il est question dans le titre. Assommé, douché, il ne pourra plus taper sur un piano, se lancera dans les sciences humaines, dont il parlera sans compétence, puis se pendra à un arbre. À travers cette histoire sans happy end, il faut entendre le grand rire sec de Thomas Bernhard, qui fait une comédie grandiose des infimes mesquineries de ses contemporains. Mais, cette fois, il y a un peu de préoccupation sociale : une servante d’hôtel est mise en parallèle avec les virtuoses et les discoureurs et, finalement, placée au-dessus d’eux. Jouanneau finit là sa carrière de metteur en scène sur le mode mineur, car son spectacle place un unique acteur dans un rectangle dessiné au sol, face à un vide où s’inscrit quand même un piano. Mineur mais juste, moins drolatique que dans les œuvres proprement théâtrales de Bernhard, mais entêtant avec son tournoiement qui progresse en ressassant. L’acteur, Armel Veilhan, haute stature et verbe haut, dévoile derrière la faconde du VRP les fêlures de l’homme déclassé. Bel exercice, entre puissance et fragilité ! Un peu de tendresse dans l’acide : Jouanneau n’a pas raté sa sortie.

Théâtre
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