Sharqiya : Silence d’une démolition

À travers la destruction d’un village, Ami Livne filme le sort des Bédouins en Israël. Brutal.

Jean-Claude Renard  • 8 novembre 2012 abonné·es

Au pur de l’épure. Des cahutes de fortune dans un bleu désert. Juste de la tôle debout et couchée, brinquebalante. Quelques chèvres traquant la bonne pente, vainement un enclos pour trouver des repères. Pas même un village ; à peine un hameau. Celui de Bédouins. Où l’on s’approvisionne en eau puisée dans les citernes alentour. Où vivent deux frères. Khaled, déjà marié, exerce dans la construction ; Kamel est agent de sécurité à la gare routière de Be’er Sheva, patrouillant, son détecteur de métaux à la main. À l’occasion, il répare lecteurs DVD et télévisions. Dans une terre de traditions, où les femmes cuisinent les recettes des aînés, et n’ont pas à aller à l’université, mais se doivent d’élever les gosses, existence plutôt morne et sans relief.

Jusqu’à ce que des uniformes viennent afficher un avis de démolition. Khaled cesse de travailler, attendant les autorités pour tenter de les repousser. Kamel continue de prendre son tour de garde à Be’er Sheva. À l’administration, on explique froidement qu’ils ne peuvent construire ainsi, pas même sur une terre ancestrale. Dans le meilleur des cas, ils auront une compensation financière pour s’installer ailleurs. Au mépris des racines. De quoi faire gamberger, s’interroger sur le devenir du hameau. Avec une économie de moyens, au sens narratif et filmique, interprété essentiellement par des acteurs non professionnels, Sharqiya tire assurément vers le genre documentaire. Rare film à traiter de la situation des Bédouins en Israël, inspiré, au reste, d’un fait réel. Une œuvre qui se présente d’abord sonore. Où bruissent les chèvres dans un espace aléatoire. Où résonnent le roulis des tracteurs dans la campagne, le trot d’un âne, le bruit des voitures martelant l’asphalte urbain. Peu de dialogues, peu d’échanges. On invoque Dieu, et puis c’est tout. C’est aussi un film de silences. De silences au pluriel. Têtes basses. Où l’on ferme sa gueule. Devant le patron. Devant les traditions, devant l’oppression. Ami Livne tourne une vie simple, quasi recluse, timide, avec l’impression de s’excuser toujours. S’excuser d’exister. Cette démolition annoncée du hameau est aussi celle d’une fratrie, celle d’un homme partagé entre une société israélienne, qui s’en méfie, et une famille, qui lui reproche de faire passer son travail avant les traditions. Un homme miné, symbole d’un peuple écrasé, abattu, terrassé. Mais qui ne renonce pas.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes