Elizabeth Warren : La dame de fer de la gauche américaine

Wall Street la déteste, les « petits » l’adorent : Elizabeth Warren vient d’être élue au Sénat. Portait d’un phénomène par notre correspondant à New York, Alexis Buisson.

Alexis Buisson  • 6 décembre 2012 abonné·es

Le 5 septembre 2012. Charlotte, Caroline du Nord. Elizabeth Warren se présente sur la scène de la convention démocrate. La petite femme, menue, semble timide. Elle peine à entamer son discours. «  Warren, Warren, Warren ! », entonne la salle. « OK, assez ! », finit-elle par lancer. 2012 était l’année des premières fois pour Elizabeth Warren, 63 ans. Premier discours devant une convention démocrate, première campagne électorale et première élection au Sénat des États-Unis. « Populiste », « dangereuse », « réformatrice »  : l’ascension de cette professeure de droit à Harvard ne laisse pas indifférent. Chouchoute de la gauche, défenseuse des petits contre les grandes banques et les lobbyistes, elle a été qualifiée par la chambre de commerce américaine de «  catastrophiquement antibusiness  ». Le magazine Time, qui l’a nommée à deux reprises parmi les cent personnes les plus influentes au monde, l’a décrite comme la «   shérif de Wall Street   ». Alors qu’il l’a chargée de mettre en place l’agence de protection financière des consommateurs, voulue par lui-même, Barack Obama a refusé de lui en donner la direction. Les Républicains auraient bloqué sa nomination. Coûte que coûte.

Elizabeth Warren se défend d’être antibusiness, elle se bat pour des «  règles du jeu   justes  ». Elle a grandi dans l’Oklahoma, dans une famille modeste. Son père enchaîne les petits boulots. Après la crise cardiaque de ce dernier, sa mère travaille dans le département des commandes sur catalogue chez Sears, une chaîne de grande distribution. Adolescente, Elizabeth Warren surprend par son intelligence et sa rapidité d’esprit. Grâce à ses prestations remarquées lors de compétitions de débats au lycée, elle décroche une bourse pour la prestigieuse George Washington University, à Washington. Mariée à 19 ans, maman à 21, son mari, qu’elle a rencontré à l’université, lui promet qu’elle «  adorera  » s’occuper de leurs enfants. Elle ne l’entend pas de cette oreille. Elle multiplie les diplômes, s’occupe d’enfants handicapés, enseigne le droit.

Professeure à Houston, Elizabeth Warren opère un tournant quand elle décide, avec deux collègues, de travailler sur le profil des individus en faillite personnelle. Elle sillonne les tribunaux de commerce du Texas, mène des interviews. Le livre qui en émane, The Fragile Middle Class, révèle la détresse financière de la classe moyenne américaine. «  Ce travail nous a tous changés, souligne Jay Westbrook, professeur de droit des affaires à l’université de Houston, qui a cosigné plusieurs travaux avec Elizabeth Warren. Pour Liz, cette enquête a fait écho à son passé. Elle avait le sentiment très fort que l’Amérique lui avait donné sa chance, et ne comprenait pas que d’autres ne puissent pas avoir les mêmes opportunités. » La crise des subprimes révèle cette dame de fer au grand public. Fin 2008, le chef de la majorité démocrate au Sénat, Harry Reid, la met à la tête du panel de supervision de l’utilisation des 700 millions de dollars du fonds Tarp (pour Troubled Asset Relief Program ), destiné au rachat des actifs toxiques américains. Un an avant la chute de Lehman Brothers, celle qui était devenue professeure de droit des contrats à Harvard avait tiré le signal d’alarme dans la revue Democracy : «   Il est impossible d’acheter un grille-pain présentant une chance sur cinq d’exploser et de mettre le feu à votre maison. En revanche, il est possible de reprendre un emprunt hypothécaire qui a une chance sur cinq de mettre toute une famille à la rue, et le contrat ne signalera même pas ce fait à l’emprunteur. »

Pendant les auditions, Warren est sans concession. Elle accuse à demi-mot le secrétaire au Trésor à l’époque, Hank Paulson, de mentir sur le montant des sommes remboursées par les banques. Elle épingle son successeur, Tim Geithner, sur l’utilisation des fonds fédéraux par l’assureur AIG. La haute finance la déteste. Qu’importe. «   Je pense ne pas avoir peur de quiconque, explique-t-elle lors d’une interview. Surtout pas de ceux qui ont amené le pays au bord du gouffre. » Le 6 novembre, Elizabeth Warren est élue sénatrice du Massachusetts. Conciliante ou sans concession : beaucoup s’interrogent sur le genre de sénatrice qu’elle sera. Et se demandent si elle siégera au très influent « banking committee » du Sénat, la commission sur les affaires bancaires. Un poste qui revient traditionnellement à des sénateurs ayant plus d’ancienneté. Mais plusieurs pétitions en ligne demandent au chef de la majorité démocrate au Sénat de la nommer. «   Elizabeth Warren est directe. Elle n’enjolive pas les choses. Les Américains ont besoin de cela en ce moment, souligne son ami Jay Westbrook. Et la télévision l’adore. Cela lui donne le pouvoir de changer les choses.   »

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