Sixto Rodriguez : Le chanteur inconnu

Sugar Man retrace la vie de Sixto Rodriguez, symbole de la lutte contre l’apartheid.

Éric Tandy  • 20 décembre 2012 abonné·es

« Rodriguez touchera des royalties sur les ventes de ce disque.  » Cette précision, imprimée au bas du livret du CD de la bande originale du film, en dit déjà long sur les aléas de la vie de Sixto Rodriguez, chanteur de Détroit d’origine mexicaine, entre folk « contestataire », rock et soul, n’ayant jamais rien perçu sur les ventes de ses deux magnifiques albums sortis au début des années 1970. Lorsque, dans Sugar Man, le documentaire que lui consacre le réalisateur suédois Malik Bendjelloul, le sujet des droits d’auteur est abordé, l’artiste, aujourd’hui septuagénaire, ne semble pourtant pas éprouver de haine envers les producteurs discographiques qui l’ont naguère lésé. Il se montre même d’un fatalisme désarmant, goûtant plutôt l’instant présent et l’improbable rebondissement d’une carrière qui n’avait été au départ qu’une suite de déconvenues et de fausses espérances. L’histoire de Sixto Rodriguez est incroyable, et l’on comprend que Bendjelloul, qui habituellement travaille avec des pointures du rock ou de la pop (il a réalisé des clips, une série sur l’histoire du heavy metal et filmé Prince en concert), s’y soit intéressé et l’ait transformée en un palpitant docu, bâti sur le mode de l’enquête (deux admirateurs sud-africains à la recherche du musicien, que certains croyaient mort, suicidé sur scène).

Au moment de leur sortie, les disques de Rodriguez n’ont eu aucun succès. Pourtant, ceux qui y avaient participé, musiciens ou techniciens de studio, leur prédisaient un bel avenir. Les différents témoins qui apparaissent dans le film en soulignent la force d’écriture, le réalisme social et la beauté des mélodies. Quelqu’un affirmant même : « Il était meilleur que Dylan  »… Quant à expliquer l’échec commercial des deux 33 tours, personne n’y parvient vraiment. « Il avait tout pour lui, mais il en a seulement vendu six exemplaires aux États-Unis  », résume Clarence Avant, le responsable du label qui sortit les disques. Plus loin dans l’interview, cette figure du music business, qui dirigea aussi Tamla Motown, ne répond pas clairement lorsqu’on l’interroge sur des royalties reçues d’Afrique du Sud et jamais reversées à l’artiste.

Car, si Rodriguez était un total inconnu aux États-Unis, il était considéré comme une pop star au Cap, à Johannesburg et dans d’autres villes du pays de l’apartheid. À l’époque, pendant les années 1970 et 1980, personne ne l’informa que ses albums, souvent dupliqués de façon illégale, étaient très populaires chez les jeunes Afrikaners qui défiaient les autorités locales en manifestant, mais aussi en formant des groupes de rock, musique alors bannie. Le documentaire nous apprend d’ailleurs beaucoup sur ce qu’était la vie en Afrique du Sud. Pays totalitaire et isolé où « la télé était proscrite car, pour le régime, elle représentait la révolution et le communisme…  » Une visite dans les archives d’une station de radio nous montre aussi que des disques vinyles étaient délibérément rayés à des endroits précis, de manière à ce que les programmateurs ne passent jamais les chansons « subversives ». C’est bien plus tard que Sixto Rodriguez, qui ne chantait plus et survivait en faisant des chantiers ou en travaillant en usine à Détroit, a pris conscience de son importance pour les Blancs qui combattaient l’apartheid. En 1998, des organisateurs de concerts ont retrouvé Rodriguez et l’ont fait venir au Cap. L’immense salle était pleine, les spectateurs reprenaient ses paroles, qu’ils connaissaient par cœur. Un moment émouvant à la fin d’un documentaire qui dépasse de très loin le simple cadre musical.

Cinéma
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