Assad ne lâche rien

La « proposition politique » du Président n’avait guère de chances d’aboutir alors que le régime, aux abois, intensifie la répression.

Nina Bontemps-Terry  • 10 janvier 2013 abonné·es

Après sept mois de silence, Bachar al-Assad est donc reparu ce dimanche, et de la façon la plus théâtrale, puisqu’il s’est exprimé depuis la scène de l’opéra de Damas, devant un parterre entièrement acquis à sa cause. Sur le fond, la «  solution politique  » préconisée par le président syrien ne pouvait guère satisfaire l’opposition, toujours assimilée à des « terroristes » venus de l’étranger, puisqu’elle supposait son propre maintien au pouvoir. Or, l’opposition fait de son départ une condition sine qua non de la paix. Le plan a aussitôt été condamné par la Grande-Bretagne, qui l’estime «  au-delà de l’hypocrisie  », par l’Allemagne, qui n’y voit «  aucune nouvelle prise de conscience  », et par les États-Unis, qui le jugent «  déconnecté de la réalité ». Seul l’Iran l’a approuvé. On sait que Téhéran est très soucieux de conserver un allié stratégique dans la région.

Si on laisse de côté l’hostilité des pays occidentaux, dont les prises de position ne sont évidemment pas dénuées d’arrière-pensées, le rejet de l’opposition s’explique évidemment par le bilan humain de la guerre civile. L’ONU l’a récemment évalué à 60 000 morts, avec une terrible aggravation au cours des cinq derniers mois. Une estimation bien supérieure à celle de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), qui annonçait 46 000 victimes. Mais la réalité du bilan est probablement tout autre, dans la mesure où « les rebelles et l’armée ne révèlent pas le nombre de morts dans leurs rangs pour ne pas porter un coup au moral des troupes », comme l’explique Rami Abdel Rahmane, directeur de l’Observatoire.

Sur le terrain, l’Armée syrienne libre (ASL) gagne du terrain de jour en jour. «  Le régime est assiégé jusque dans sa capitale, la rébellion progresse partout », indique Jean-Pierre Filiu, spécialiste du monde arabe. Mais le gouvernement poursuit le bombardement des villes au nord-ouest et au sud-ouest du pays, en particulier à Deraa, berceau de la révolution, à Damas et à Alep. Il s’agit de « punir les zones libérées en les détruisant. C’est pourquoi de nombreuses communes sont des villes fantômes », souligne le politologue.

En représailles, l’opposition vise les aéroports du nord-ouest du pays pour empêcher les raids aériens du gouvernement sur une région contrôlée en majorité par les rebelles. Car, malgré son manque de moyens logistiques, l’opposition prend le dessus. «  Aujourd’hui, note Jean-Pierre Filiu, le régime, soutenu par la Russie et l’Iran, est gavé de munitions, et les opposants sont dans un rapport de force militaire défavorable », mais on ne doit pas s’en tenir à une simple arithmétique : «  L’armée active du gouvernement est estimée à 200 000 soldats, mais il y en a sans doute plus de 100 000 parmi eux qui travaillent avec la révolution. Le problème est de comprendre la dynamique qui provoquera l’effondrement du régime.  »

Sur le plan diplomatique, la reconnaissance de l’ASL comme représentant légitime du peuple syrien par les « Amis de la Syrie » n’a apporté à l’opposition qu’une maigre garantie politique. Celle de bénéficier, une fois le régime actuel effondré, d’un certain rayonnement diplomatique. En revanche, elle ne lui a guère apporté de moyens militaires. Aucun des États qui ont annoncé leur soutien à la coalition lors de la réunion de Marrakech le 12 décembre ne lui a fourni d’aide logistique. « À ce jour, la Libye est la seule à s’engager dans la révolution. Elle fournit la moitié du budget de la coalition », estime Jean-Pierre Filiu. Le politologue déplore que l’on n’ait pas entamé une procédure d’expulsion de l’ONU du régime de Bachar al-Assad : « Cela dans la mesure où on reconnaît la légitimité de l’opposition. » Quant aux soutiens au régime de Bachar al-Assad, ils tentent de s’adapter à la nouvelle donne. La Russie opère un évident virage : «  Nous ne sommes pas préoccupés par le sort du régime Assad. Cette famille est au pouvoir depuis quarante ans et des changements sont nécessaires », a déclaré Vladimir Poutine fin décembre. «  Le gouvernement russe se fiche du peuple syrien, commente Jean-Pierre Filiu, ce qu’il veut, c’est retrouver un rôle clé sur la scène internationale, dans une logique de guerre froide. Il rêve d’être le lieu des futures négociations de l’après Assad. »

Les récentes tentatives de médiation de la Russie ne font que corroborer cette hypothèse. Fin décembre, Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie, annonçait après son entretien avec Lakhdar Brahimi, émissaire de l’ONU et de la Ligue arabe, « que les chances d’atteindre une solution politique existaient toujours ». Au même moment, le gouvernement russe invitait Moaz al-Khatib, chef de l’opposition syrienne, à négocier un règlement pacifique du conflit. En France, le gouvernement a clairement tranché en faveur de l’opposition. François Hollande a proposé mi-novembre à la Coalition de désigner un ambassadeur de la Syrie en France. Et Laurent Fabius milite pour une levée de l’embargo sur les « armes défensives ». « De ce point de vue, le gouvernement a été courageux », juge Jean-Pierre Filiu.

Mais beaucoup, à gauche, continuent de lire le conflit à travers le prisme du complot. «  Ce que je comprends, au fil des débats, c’est que la grille de lecture anti-impérialiste reste dominante  », ajoute le politologue, auteur récent du livre le Nouveau Moyen-Orient. Les peuples à l’heure de la Révolution syrienne  [^2]. « La révolution est toujours présentée comme l’œuvre de la CIA », regrette Jean Pierre Filiu. Les rebelles sont trop souvent désignés comme des « terroristes », qualification empruntée au gouvernement syrien. En novembre, un rapport du Haut-Commissariat de l’ONU qualifiait de « crimes de guerre » les exactions des rebelles. Entre cette définition d’ordre juridique et l’invocation du « terrorisme » empruntée à la propagande du régime syrien, il y a plus d’une nuance. Mais la crise syrienne est d’une infinie complexité.

[^2]: Le Nouveau Moyen-Orient , Jean-Pierre Filiu, Fayard, 400 p., 22 euros.

Monde
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