Emploi, banques, réformes… Le débat PS – FDG

L’animateur de l’une des composantes du Front de gauche, Christian Picquet, et le chef de file de la gauche du PS, Emmanuel Maurel, livrent leurs analyses.

Denis Sieffert  et  Michel Soudais  • 31 janvier 2013 abonné·es

C’est dans les locaux du conseil régional d’Île-de-France qu’Emmanuel Maurel et Christian Picquet ont accepté de bonne grâce de répondre longuement à nos questions sur la politique du gouvernement pour un débat inédit.

**François Hollande a promis que le gouvernement retranscrirait « fidèlement » dans la loi l’accord sur l’emploi et la compétitivité des entreprises signé par le patronat et trois syndicats. N’est-ce pas faire peu de cas du Parlement ? **

Emmanuel Maurel : On ne peut pas, comme François Hollande l’a fait durant toute la campagne, dire que le Parlement doit être le cœur battant de la démocratie, que les parlementaires n’ont pas seulement un rôle de contrôle mais un rôle de législateur, et expliquer que, sur un sujet aussi central – modifier le code du travail –, le rôle du Parlement se réduirait à être une sorte de chambre d’enregistrement. J’espère – je suis optimiste – que les parlementaires socialistes auront la volonté d’améliorer substantiellement le texte. Car, sur le fond, il est déséquilibré. Hélas en faveur du Medef. On nous dit que cet accord, c’est plus de sécurité pour les salariés, plus de flexibilité pour les entreprises, et qu’il est favorable à l’emploi. Beaucoup de flexibilité, c’est vrai. En revanche, je ne vois pas trop de sécurité pour les salariés, même pas du tout. Et je crois qu’il risque de fragiliser un peu plus le monde du travail. La preuve en est que les accords dits « de maintien de l’emploi » sont la reprise de ce que Nicolas Sarkozy avait préconisé dans le cadre des accords compétitivité-emploi. Ainsi, on va expliquer à un salarié qu’en fonction de la conjoncture et de la situation du carnet de commandes, on sera amené à revoir le temps de travail à la hausse et les salaires à la baisse. On va également amplifier le mouvement de négociation entreprise par entreprise, alors que la gauche est plutôt attachée aux négociations nationales ou par branche. Accepter ce dispositif constituerait une défaite dramatique pour le mouvement syndical européen. La simplification des procédures de licenciement, avec l’homologation a posteriori ou la substitution du juge administratif au juge civil, pose également un certain nombre de problèmes. Et ce projet est riche de détails de cette nature qui vont fragiliser les salariés soumis à un chantage à l’emploi, comme chez Renault. J’espère donc que la gauche politique mais aussi la gauche sociale se mobiliseront pour obtenir un rééquilibrage.

Christian Picquet : Sont ici posés à la fois un problème de contenu, un problème de représentativité des signataires et un problème de responsabilité de la puissance publique. Sur le contenu, je partage le constat d’Emmanuel : l’accord s’apparente plutôt à une arnaque qui, sur l’essentiel, donne satisfaction aux principales exigences du Medef. Il va générer davantage de flexibilité et de précarité pour les salariés, donner plus de liberté au patronat pour licencier ou réduire les salaires au nom de la conjoncture, et se traduire par de nouvelles exonérations de cotisations sociales de l’ordre de 50 milliards d’euros pour les employeurs. C’est une cohérence qui va à l’inverse de ce pour quoi l’immense majorité du mouvement syndical se bat depuis des lustres et de ce pour quoi toute la gauche avait fait front à diverses occasions. Évidemment, cet accord doit aussi être regardé du point de vue de la représentativité des forces qui l’ont signé : tout le patronat, mais une minorité seulement des organisations de salariés. Enfin, je conteste la méthode du gouvernement. Non qu’il ne faille aller vers la refondation de la démocratie sociale en redonnant des droits au mouvement syndical. Mais la puissance publique n’est pas neutre. Un gouvernement élu avec les voix de la gauche aurait dû mettre des propositions sur la table, il ne peut se contenter de venir vitrifier par la loi un rapport de force. À Michel Sapin, je reproche d’avoir encouragé en sous-main une partie des syndicats à conclure cet accord, qui, au demeurant, accentuera la distanciation de la gauche avec une large fraction des classes populaires. C’est pourquoi la majorité des députés de gauche, soucieuse et garante de l’intérêt général, doit maintenant faire en sorte que la loi, contrairement à l’accord, fasse reculer la précarité en instaurant davantage de sécurité et des droits nouveaux pour les salariés. Je suis satisfait de voir que, du côté du PS, Emmanuel en est une des expressions mais d’autres l’ont fait aussi, y compris du côté d’EELV. Des voix s’élèvent pour dire que cet accord n’est pas ratifiable.

Cette affaire ne témoigne-t-elle pas d’une intention plus générale de ne pas traiter le Parlement comme une instance démocratique majeure ?

Emmanuel Maurel : Je ne dirais pas ça. Il y a chez Jean-Marc Ayrault, qui a été président du groupe socialiste pendant quinze ans, comme chez François Hollande, parlementaire pendant longtemps, un respect profond du Parlement. Le problème, ce sont les institutions de la Ve République. Tout est soumis à l’exécutif et à ce que l’on appelle le fait majoritaire. La pente naturelle des institutions fait que le parti majoritaire est sommé d’être discipliné. Même si la gauche a des choses à faire pour améliorer le fonctionnement du Parlement, tant qu’on en restera à un système ultra-présidentialiste, comme aujourd’hui, nous serons dans cette situation. Maintenant, sur certains points, les députés socialistes ont manifesté leur volonté d’améliorer des textes. J’espère qu’il en sera de même sur ce sujet.

La réforme bancaire présentée en conseil des ministres est très en deçà de ce que laissait espérer le discours du Bourget, pendant la campagne présidentielle. Il semble que ce décalage suscite une certaine grogne au sein du groupe socialiste…

Emmanuel Maurel : Sur cette réforme, il va y avoir un vrai débat. L’intention est de séparer les activités de dépôt et les activités spéculatives, mais le projet de loi n’est qu’une première étape. Principal problème : il n’empêche pas les banques de pratiquer pour le compte de clients un certain nombre d’activités à haut risque ; la loi n’est donc pas assez sévère sur la stricte étanchéité entre les deux activités. Ensuite, la question des paradis fiscaux n’est pas suffisamment présente, alors qu’il faut que l’on aille vers l’interdiction pour les banques françaises d’avoir des filiales dans les paradis fiscaux. Sur ces deux points, on pourrait s’inspirer largement du rapport rédigé il y a quelques années par Vincent Peillon et Arnaud Montebourg pour améliorer cette loi. Maintenant, cette loi n’est pas – mais ce n’est pas ce qui avait été promis – la grande réforme qu’on a connue avec Roosevelt dans les années 1930. Juste une loi qui dit que notre adversaire c’est la finance. Elle n’en tire pas encore les conséquences politiques, mais je pense que, dans le débat parlementaire, nous aurons quelques bonnes surprises.

Christian Picquet : La réforme bancaire est à l’évidence un des grands débats qui vont maintenant s’ouvrir à gauche. Au-delà même du caractère timoré de la loi à venir, la question de la remise sous contrôle du système bancaire est l’un des grands défis qui se posent à la gauche. Sans reprise en main du système bancaire, au moyen d’un pôle financier public, il ne sera possible ni de créer les centaines de milliers d’emplois indispensables, ni de réindustrialiser le pays, ni d’initier la transition écologique, ni de redéployer les services publics. On ne peut pas dire au Bourget « je veux remettre au pas la finance » et ne pas ouvrir le débat sur les moyens concrets d’en finir avec les dérives spéculatives d’un système bancaire dont la recherche de rendement financier de court terme se traduit par la raréfaction du crédit en direction des PME. Pour en revenir à la dimension des institutions, ce à quoi on assiste dans les rapports entre l’exécutif et le Parlement est un peu la confirmation de ce qu’Arnaud Montebourg avait appelé « la machine à trahir ». En disant cela, je ne fais pas un procès, mais…

Un peu tout de même…

Emmanuel Maurel : Il faut bien resituer ce que disait Montebourg…

Christian Picquet : Tout à fait… La logique perverse des institutions de la Ve République conduit l’exécutif à tenir en lisière le Parlement et sa propre majorité. Au sein du PS, comme dans le groupe majoritaire de l’Assemblée nationale, la tendance est au verrouillage des débats. Lorsqu’elle s’avère dissonante, la voix des écologistes est étouffée. Quant à ceux qui ne sont pas entrés dans la majorité gouvernementale, ils sont méprisés. Les parlementaires du Front de gauche ne sont même pas écoutés lorsqu’ils déposent, au Sénat par exemple, des amendements se limitant à reprendre des votes sur lesquels toute la gauche s’était retrouvée quand elle était dans l’opposition. C’est comme cela, le débat étant devenu impossible, que la gauche s’affronte et se fragmente, que l’on court à la défaite. Voilà où conduisent les institutions que nous a léguées De Gaulle, et que tous les présidents à sa suite, de Mitterrand à Sarkozy, n’ont cessé de présidentialiser.

La lutte contre le chômage repose sur un espoir de retour de la croissance, alors même que la plupart des économistes émettent plus que des doutes à ce sujet. Ne faudrait-il pas changer de grille de lecture ?

Christian Picquet : L’austérité, telle que le TSCG l’impose aux politiques budgétaires des cinq prochaines années, tourne le dos à toute relance de l’activité. Elle va plonger la France, comme elle plonge la zone euro, dans la récession. Ce faisant, elle va contracter les recettes, accentuer les déficits, donc la dette, étrangler l’investissement et déboucher sur davantage de chômage et de précarité. Une autre logique est à la fois nécessaire et possible. Elle suppose une intervention forte de la puissance publique, par exemple pour interdire dans l’urgence les licenciements boursiers, et pour introduire à moyen et long termes un dispositif de type sécurité sociale professionnelle, dotant les salariés de véritables protections. Elle exige encore de relancer l’investissement dans certains secteurs, de jouer sur le pouvoir d’achat, ce qui passe notamment par une redistribution des richesses. Hélas, on reste aujourd’hui loin de la révolution fiscale promise. Évidemment, la relance de l’activité ne peut se concevoir indépendamment d’un autre type de développement économique s’inscrivant dans la perspective d’une transition écologique, ce que recouvre l’idée de la planification écologique au Front gauche. Le contenu de cette relance ne peut donc reproduire les conceptions productivistes dont on sait où elles ont menés.

Emmanuel Maurel : Je pourrais dire la même chose. Toutefois, il faut reconnaître que le gouvernement a mis en place des outils qui permettent de relancer l’activité économique. La priorité à l’emploi des jeunes, et notamment ceux qui sortent du système scolaire sans qualification, avec les emplois d’avenir ou les contrats de génération, va dans le bon sens. Quand on met en place la Banque publique d’investissement, même si les montants mobilisés sont insuffisants, cela montre la volonté du gouvernement de prendre la relance – le redressement, dirait Montebourg – à bras-le-corps. Christian évoque la transition énergétique, qui sera une question centrale : le gouvernement a tenu sur le sujet une conférence nationale qui a abouti à de premières réflexions. Là où Christian a raison, c’est que, pour relancer l’activité, il existe deux outils principaux : la politique salariale et la politique fiscale. De ce point de vue, on est en effet en droit d’attendre des réformes plus ambitieuses. Vous avez raison de dire que la croissance est un concept à interroger. Cela suppose de remettre à plat nos schémas de pensée et d’imaginer un autre modèle de développement pour produire et consommer mieux. Enfin, on ne peut pas ne pas parler des protections. Si on veut vraiment préserver l’emploi, il faut mettre un terme, au sein de l’Europe, au dumping fiscal et social qui ruine des territoires entiers et fragilise des familles en mettant des milliers de salariés au chômage. Au-delà, il ne faut pas s’interdire de mettre en place des barrières douanières sur un certain nombre de produits fabriqués aujourd’hui par des pays qui ne respectent pas les normes sociales et environnementales. Des pays qui faussent les règles du commerce international. Qu’est-ce qui caractérise la gauche ? La volonté de substituer la coopération à la compétition. En Europe, on est loin du compte, et il faut penser à de nouvelles protections au niveau mondial, avec une réelle réglementation du commerce. Ces mots d’ordre, qui ont été portés par le mouvement altermondialiste, ont aujourd’hui un peu décliné. Il est temps d’en reparler sérieusement.

Quelle appréciation générale portez-vous sur les huit premiers mois de François Hollande à l’Élysée ?

Christian Picquet : François Hollande l’a emporté parce qu’il a pris, dans son discours du Bourget, trois engagements forts : la remise au pas de la finance, la restauration du principe d’égalité républicaine, la renégociation de la construction européenne pour l’extraire des logiques libérales qui prévalent. Sitôt la victoire de la gauche acquise, on a vu entrer en action un parti du capital qui, contrairement à Jérôme Cahuzac, n’ignore rien de la lutte de classes. Ce parti du capital, dont Laurence Parisot a pris la tête, a mis sous pression le gouvernement et toute la gauche au nom d’un « choc de compétitivité », de la diminution des cotisations sociales du patronat, de la flexibilité du travail, etc. Force est de constater qu’au nom du compromis à trouver avec le capital financier, compromis évidemment impossible, le gouvernement est allé de recul en recul, de la ratification du traité budgétaire européen au pacte de compétitivité, en passant par les 60 milliards d’amputation de la dépense publique sur cinq ans et l’annonce que l’accord obtenu par le Medef serait validé par la loi sans que la moindre virgule en soit changée. Au bout du compte, le gouvernement tourne le dos aux engagements qui ont été le ressort de l’élection de François Hollande et, au-delà, de la victoire remportée sur la droite. Après quelques mesures initiales positives, la ligne de pente qui s’est imposée conduit à un désastre s’il n’y a pas un sursaut à gauche pour réorienter le cours des choses.

Emmanuel Maurel : La victoire de François Hollande, contrairement à ce qu’on a souvent dit, n’est pas seulement celle de l’anti-sarkozysme, c’est aussi une envie de changement. De ce point de vue, ce qu’il y avait dans le discours du Bourget, la restauration des valeurs républicaines, la réaffirmation de la nécessité de la justice sociale dans un pays qui en manquait depuis dix ans, était enthousiasmant. Cela a levé un grand espoir. Mais on avait peut-être sous-estimé à quel point beaucoup de gens, qui n’avaient pas intérêt au changement, mettraient en branle une offensive considérable. Je ne pense pas qu’on puisse dire aujourd’hui qu’il y a un tournant social-libéral. Il y a une forme de social-défaitisme qui anticipe un rapport de force aujourd’hui défavorable au monde du travail, et qui dit qu’il faut en passer par des compromis. Le problème est que ce compromis se fait un flingue sur la tempe. Cela explique le pacte de compétitivité ou ce qui se passe aujourd’hui sur l’emploi. La vraie difficulté qui se pose à l’ensemble de la gauche, c’est comment procéder pour inverser ce rapport de force et arriver à un compromis favorable au monde du travail. Il y a encore beaucoup à faire pour arriver à bouger le PS et parvenir à ce que beaucoup d’électeurs se retrouvent dans la politique menée. Cela ne veut pas dire qu’on va mettre en œuvre ce que souhaitent Jean-Luc Mélenchon ou le Front de gauche. Mais il faut que nos électeurs aient le sentiment que l’on est capable d’apporter un certain nombre de réponses à leurs attentes et de remporter de petites victoires. Je crois cette inversion du rapport de force encore possible, et c’est à nous de montrer à François Hollande que la gauche française est quand même un peu plus à gauche que ce qui est fait par le gouvernement.

Christian Picquet : Nous sommes confrontés à un défi : les choix effectués pour satisfaire aux exigences du « Merkozy » mènent droit dans le mur, on le verra dès cette année lorsqu’il se révélera impossible d’atteindre l’objectif des 3 % de déficit public. Il est donc vital de faire apparaître que la gauche n’est pas condamnée à cette impasse. Il est parfaitement possible de voir renaître l’espoir. Ce pays n’a pas basculé à gauche par hasard. Son vote de mai et juin 2012 traduit des résistances qui ont mis des millions de salariés dans les rues, notamment sur la contre-réforme des retraites. Il existe par conséquent, dans le peuple de gauche, une majorité en faveur de mesures qui relèvent de l’intérêt général – on en a cité quelques-unes – et peuvent faire bifurquer la situation.

**Entre vous, il y a des nuances mais aussi beaucoup d’accords. Pourtant, vous êtes dans des stratégies très différentes, l’un à l’intérieur du PS, l’autre au Front de gauche. Ces huit premiers mois remettent-ils en cause vos stratégies ? **

Emmanuel Maurel : Que l’on soit d’accord sur un certain nombre de points est assez logique puisqu’on appartient à une famille politique qui s’appelle la gauche. Ce débat est à l’image du peuple de gauche. Il y a des divergences, des histoires différentes, mais on se retrouve quand même sur l’essentiel. Je n’accepte pas qu’on nous explique que le PS est définitivement passé, avec armes et bagages, du côté du social-libéralisme. Dans leur immense majorité, les militants du PS aspirent à la redistribution des richesses…

Le problème n’est pas tant les militants que ce que le gouvernement donne à voir…

Emmanuel Maurel : Encore une fois, gouverner n’est pas facile, et le gouvernement subit une offensive très violente. C’est à nous de mener la contre-offensive, et celle-ci doit être unitaire. Il faut y associer les Verts qui, dans EELV, se posent les mêmes questions. Et être capable cette année de faire voter par toute la majorité des dispositions aussi essentielles que l’interdiction des licenciements boursiers ; une proposition de loi en ce sens a été votée, il y a un an, par tous les sénateurs de gauche, pourquoi ne pourrait-on plus le faire aujourd’hui ? Un appel lancé par Pierre Laurent, Marie-Noëlle Lienemann et Jean-Vincent Placé demande que le logement social soit considéré comme un produit de première nécessité, et donc que son taux de TVA passe à 5 % et non à 10 %. Il faut multiplier ainsi des initiatives qui réunissent toute la gauche. Il y a un espoir tant que cet état d’esprit unitaire perdure. C’est pourquoi je conteste mes propres camarades, comme Jérôme Cahuzac, quand ils défendent je ne sais quelle gauche postmoderne ou post-libérale qui représente une petite minorité des électeurs de gauche. De la même façon, je conteste ceux qui disent qu’il y a deux gauches irréconciliables, une gauche de gestion capitularde, et l’autre qui serait le recours et l’alternative. On n’est pas en Amérique du Sud, dans une situation à la brésilienne d’avant Lula. Et on n’est même pas dans une situation à la grecque. Il faut préparer ensemble les grandes réformes de la seconde moitié du quinquennat. Moi, je me sens très bien au PS. Rien ne se fera sans lui, car c’est une grande force à gauche. Et il serait absurde de dire que ça se fera forcément sans lui, car ce serait voué à l’échec.

Christian Picquet : Emmanuel et moi, nous assumons ce que nous sommes. Pour autant, j’ai toujours combattu la théorie des deux gauches. Acter l’existence de deux gauches repliées sur elles-mêmes équivaudrait à un constat d’impuissance. En revanche, la gauche est traversée par deux orientations différentes. La question est de savoir comment changer le rapport de force pour faire bouger le curseur. Lorsque le Front de gauche lance, à la fin de l’été 2011, une « offre publique de débat » en direction du reste de la gauche, c’est pour éviter ce que l’on connaît aujourd’hui, avec l’obligation pour nos parlementaires de s’opposer à des projets soumis par le gouvernement, c’est pour créer les conditions d’une majorité conduisant une politique offensive contre la finance et favorable au progrès social comme au plus grand nombre. C’est avec la même démarche que nous lançons à présent notre campagne contre l’austérité : permettre au débat d’idées et à l’action de dégager de nouveaux rapports de force en faveur d’une alternative à l’austérité. Cela ne peut pas se faire « gauche contre gauche ». Il faudra nécessairement jeter des ponts entre des secteurs de la gauche qui ont fait des choix différents l’an passé, mais qui partagent les mêmes préoccupations et cherchent dans les mêmes directions. L’intérêt commun d’une majorité à l’intérieur de la gauche, c’est que la victoire électorale du printemps 2012 ne soit pas suivie d’une déception populaire qui ferait le jeu d’une droite aujourd’hui sous l’influence idéologique de son extrême. Personne ne peut penser profiter d’un désastre. Sur les champs de ruines, les roses ne poussent jamais. Tous ceux qui ont la même conscience de l’enjeu devraient pouvoir agir ensemble afin que le Parlement n’adopte pas en l’état les dispositions issues d’une négociation sociale en trompe-l’œil, que soit enfin soulevée la question de la reprise en main du système bancaire pour le réorienter vers l’emploi, la transition écologique ou le redéploiement des services publics. Avec pour perspective une nouvelle majorité et un nouveau gouvernement conduisant une politique vraiment de gauche, osant affronter la finance et le patronat, sortant l’Europe de sa dérive libérale, mettant en œuvre les grandes exigences que nous avons pu exprimer ici. Il y a urgence parce que, de dégradation en dégradation, c’est toute la gauche qui pourrait être emportée par une défaite politique et idéologique de grande importance.

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