Fipa 2013 : Quand la télé en met plein la vue

La dernière édition du Fipa a une nouvelle fois proposé ce que le petit écran pouvait produire de meilleur. Ce qui ne garantit pas à ces oeuvres d’être un jour diffusées.

Jean-Claude Renard  • 31 janvier 2013 abonné·es

Restrictions budgétaires obligent, les grandes chaînes (du moins celles qui se déplacent, ce qui n’est jamais le cas de TF1 ou de M6) présentes au Festival international de programmes audiovisuels (Fipa), à Biarritz, se sont contentées de brèves conférences de presse pour décliner les programmes à venir. Efficace. Et sans fioritures. La part belle restant à la projection. Pourvoyeuse en nombre de productions, Canal + a mis en avant les Anonymes, de Pierre Schoeller, s’emparant de l’assassinat du préfet Érignac, abattu à Ajaccio en février 1998. Une fiction reprenant le contexte des luttes fratricides entre les mouvements nationalistes corses, les premiers pas de l’enquête, ses égarements et l’arrestation des membres du commando, que le réalisateur livre avec rigueur et intensité, dans une mise en scène très sobre, égale à celle de son film précédent, l’Exercice de l’État (où jouait déjà Olivier Gourmet, présent dans ce film).

France Télévisions a présenté également la Dernière Campagne, de Bernard Stora. Celle opposant François Hollande (Patrick Braoudé) à Nicolas Sarkozy (Thierry Frémont, surjouant). Un film pêle-mêlant images de la campagne présidentielle de 2012, JT et fiction, qui voit Chirac en mentor du candidat socialiste (Bernard Le Coq, dans un rôle endossé déjà dans la Conquête, de Xavier Durringer). Un scénario abracadabrantesque qui souffre surtout d’une fade mise en scène. Chirac, on le retrouve dans un documentaire de Pierre Hurel, Une famille au cœur du pouvoir. Moins un portrait de l’ancien président de la République que des femmes qui l’entourent (Bernadette et ses deux filles), ajoutant inutilement des séquences reconstituées malgré une masse d’archives intéressantes, de 1956 aux années 2000. Sans polémique (sinon l’évocation de l’affaire Méry). Sans relief. Plus intéressant est le travail d’Alexandre Valenti, Argentine, les 500 bébés volés de la dictature, retraçant une histoire tragique illustrée par les archives, le témoignage de mères et de grands-mères relatant les exactions de la junte militaire entre 1976 et 1983, la disparition des enfants que les gouvernants s’appropriaient comme un butin de guerre (à ce jour, seuls une centaine d’entre eux ont été retrouvés). Plus exceptionnel encore demeure Hors la loi, trilogie documentaire de François Chilowicz : le parcours de six condamnés, depuis leur interpellation jusqu’à la fin de leur peine. Étirée sur quatre années, une lecture des procédures judiciaires, saisies des bureaux de police aux centres de détention. Une lecture sans artifice, sans commentaire.

Arte n’est pas en reste en termes d’œuvres de qualité. À commencer par Monsieur et Madame Zhang, de Fanny Tondre, concentré sur l’itinéraire d’un couple chinois, débarquant en France, revenant à Wenzhou, entre doutes et remords. Filmé délicatement, un retour sonnant comme une défaite intime. Bloody Daughter, de Stéphanie Argerich est un autre portrait de couple, celui des parents de la réalisatrice, deux grandes personnalités de la musique, croquées savoureusement au bout de conversations animées. À côté de ces programmes à venir, le Fipa, ce sont d’abord des films, des fictions, des séries, des reportages et des documentaires qui cherchent un diffuseur. Parmi eux, de petits bijoux, des curiosités. Ainsi Salamander, série belge de Frank Van Mechelen tendue et musclée autour d’une banque dont les coffres des hauts patrons, magistrats et membres de la famille royale ont été vidés de leurs documents compromettants. Loin de là, Il Sogno del maratoneta, de Leone Pompucci, dessine un tableau de l’Italie rurale d’avant la Grande Guerre, à travers un paysan devenu champion olympique du marathon, en 1908. Loin de là encore est Deported, de Rachèle Magloire et Chantal Regnault, axé sur les Haïtiens, criminels ou petits délinquants, expulsés des États-Unis, renvoyés dans un pays d’origine qui leur est totalement étranger, où seule, peut-être, la musique semble faire le lien. Des laissés-pour-compte portés par un souffle, comme ces ouvriers de Continental cadrés au plus près par Luc Wouters dans Conti un jour, Conti toujours, dont le point d’orgue serait la rencontre avec leurs homologues allemands, à Hanovre. Un film qui refuse l’oubli d’une lutte exemplaire. Vital. Et vitaminé. Silence radio, de Valéry Rosier, fait aussi partie de ces bijoux, portrait tendre de la région picarde à travers une radio locale. Des auditeurs qui dédicacent une chanson, d’autres qui appellent pour donner le bulletin de santé d’un proche, une animatrice conseillère en psychologie, une fréquence égrenant « les Roses blanches » de Berthe Silva et « Mon Vieux » de Daniel Guichard, un personnel bénévole qui fait l’apprentissage de la programmation numérique.

Aux quatre murs du studio s’ajoutent des scènes d’intimité et le quotidien de ces gens du cru, accrochés à leur poste. Foin de commentaires pour rendre compte de ces existences humbles, au diapason d’un bal musette et des intérieurs défraîchis, entre tapisseries fleuries et bibelots kitch. Silence radio a reçu le prix Michel-Mitrani, récompensant une première ou seconde œuvre, conjuguant l’exigence et l’indépendance. Des œuvres non formatées, confrontées à la frilosité des chaînes. Lors d’un débat consacré aux perspectives du petit écran, Rémy Pflimlin a souligné combien son groupe « a une mission d’utilité sociale ». Il était bon de le rappeler. Comme il est juste de rappeler que les derniers prix Michel-Mitrani, Ward 54 (en 2011) et Grande Hotel (en 2012), n’ont jamais été diffusés.

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