Le dogme de la bombe en question

Le livre blanc sur la Défense, attendu au printemps, tente de maintenir le budget d’une arme atomique désormais contestée au sein de l’armée, engagée dans une guerre conventionnelle au Mali.

Patrick Piro  • 31 janvier 2013 abonné·es

«Àquoi nous sert l’arme atomique ? À rien. Elle n’a aucune pertinence pour régler les problèmes du monde et ponctionne des milliards qui seraient bien plus utiles ailleurs », assène Denis Baupin. Le député et ses collègues d’Europe Écologie-Les Verts, l’Observatoire de l’armement ainsi que les Parlementaires pour la non-prolifération nucléaire et le désarmement (PNND-France), organisaient le 25 janvier un débat à l’Assemblée nationale pour tenter d’ouvrir la discussion sur l’avenir de la dissuasion nucléaire en France. Une gageure : « C’est l’omertà politique ! », dénonce Dominique Lalane, coprésident du collectif Armes nucléaires stop. Le consensus est encore plus figé que sur la question de l’atome civil. Lors de la présidentielle 2012, seule Eva Joly s’est prononcée sans ambiguïté pour le renoncement à l’arme nucléaire. François Hollande a prévenu qu’elle échapperait à la rigueur budgétaire qui affecte presque tous les ministères, y compris celui de la Défense [^2].

Une commission prépare pour le printemps un « livre blanc », prélude à une loi de programmation militaire pour les cinq ans à venir. « Elle a auditionné tout le monde, sauf les opposants ! », s’élève Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire de l’armement. En novembre dernier, l’unique amendement au projet de budget 2013 de la Défense émanait du groupe écologiste. Il demandait, comme l’accord PS-EELV de novembre 2011, une réflexion sur la contribution de la France au désarmement nucléaire multilatéral. « Rejeté sous les sarcasmes », commente Denis Baupin, qui le portait. Pourtant, le vent semble tourner affirment les opposants, relatant l’appel de Barack Obama (en avril 2009) et du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon (en août 2012), à libérer le monde de l’arme nucléaire, ou encore les critiques (en juin 2012) de Michel Rocard et d’Alain Juppé, anciens Premiers ministres, sur la pertinence de la dissuasion nucléaire. « Nous sommes dépositaires d’une capacité génocidaire sans ennemi ni doctrine d’emploi – c’est grave, pour une arme !, lance Alain Joxe, spécialiste des questions stratégiques. Le cadre de la dissuasion – une frappe de rétorsion capable de vitrifier une portion de territoire d’un agresseur – s’est évanoui après la chute du Mur en 1989. » En 1956, la menace soviétique d’utiliser « la bombe » faisait avorter l’expédition militaire franco-britannique en Égypte, lors de la crise du canal de Suez. « Mais quel pays agirait aujourd’hui de même pour retenir la France d’intervenir au Mali ? », rétorque Alain Joxe. Liberté d’action internationale (militaire ou autre), autonomie (vis-à-vis des États-Unis, entre autres), menace d’agression d’un État…, « cet argumentaire a perdu tout son sens avec l’effondrement de l’URSS. François Hollande soutient l’arme nucléaire parce qu’il n’a pas d’idée de rechange ! On est en pleine vacuité stratégique et militaire. Ce qui menace aujourd’hui notre autonomie, c’est l’empire diffus de la finance… ».

Les pro-bombe rappellent que la France, depuis vingt ans, a limité sa force de frappe. Illusion, rétorque Paul Quilès, ancien ministre socialiste de la Défense (1985-1986) : « On n’a fait qu’éliminer les équipements obsolètes en s’évertuant à maintenir le statu quo par la modernisation de l’arsenal nucléaire. » Ultime parade des défenseurs : « C’est l’assurance vie de la France », déclarait Nicolas Sarkozy (juillet 2007). « N’est-ce pas plutôt une assurance décès ? Entre vingt et cinquante   pays sont en mesure de s’approprier cet argument pour justifier de développer la bombe, affirme Bernard Norlain, général à la retraite, ancien conseiller militaire de Jacques Chirac et de Michel Rocard. En la défendant alors qu’aucune menace ne le justifie, nous augmentons son ombre portée sur notre avenir. » Irak, Kosovo, Balkans, Afghanistan, Libye, Mali : ces dernières années, les doctrines militaires ont glissé de la dissuasion à l’intervention, appuie-t-il. « Alors que les forces conventionnelles, et surtout l’armée de terre, vont souffrir de nouvelles restrictions budgétaires, l’arme nucléaire fomente un mouvement de rejet croissant au sein de l’armée française. »

[^2]: La « bombe » (10 sous-marins, 48 missiles intercontinentaux, environ 240 têtes nucléaires, une force aérienne, des outils de simulation…) absorbe 3,5 milliards d’euros par an.

Écologie
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